Un homme d'exception : Maurizio Oviglia (par Jean-Pierre Banville)
Désolé de vous avouer ici mon scepticisme et de jeter le doute sur de futures carrières d’historiens. Il vous reste encore la sociologie, chers étudiants.
Non, la vérité historique s’explique par les individus, les hommes d’exception qui ont changé le paysage d’une époque. Regardez Cuba – qui a changé de leader maximo en fin de semaine – et essayez de vous imaginer la révolution cubaine sans Fidel Castro. Les prémisses de la révolution pouvaient exister sans Castro mais jamais la dite révolution.
L’Inde aurait atteint son indépendance un jour ou l’autre mais comment y arriver sans un Gandhi?
La science était prête à accepter l’héliocentrisme mais, sans Galilée, combien de siècles plus tard?
Même chose pour le milieu de l’escalade!
Certaines personnes sont des incontournables : sans eux, des pans entiers de notre monde vertical n’auraient jamais existé.
Ce sont souvent des hommes d’exception, des précurseurs, des luminaires.
Ils ont la passion aux tripes et ne vivent que pour diffuser leur vision du monde.
Ils nous ouvrent de nouveaux horizons et nous ne sommes que des pèlerins usant nos sandales sur leurs traces.
La France possède ses luminaires mais que dire du pays voisin, ce pays si près et souvent si loin. Ce pays si peu visité des grimpeurs de l’Hexagone mais qui possède pourtant le versant ensoleillé des Alpes.
L’Italie!
Et on ne peut parler de l’Italie sans mentionner le nom de Maurizio Oviglia.
L’homme par qui les voies arrivent…
Maurizio Oviglia est né à Turin en 1963. Il vit actuellement à Cagliari, la capitale de la Sardaigne. Il a étudié en graphisme mais travaille à faire de topos et livres d’escalade. Il grimpe depuis qu’il sait marcher ou presque…
Pourquoi la Sardaigne?
Parce qu’il y a ouvert des centaines de voies. Des milliers.
Comme dans toutes les régions de l’Italie, en Turquie, en Grèce.
C’est aussi un écrivain prolifique : ses topos sont des œuvres d’art!
Normal! Il est graphiste mais tout autant penseur.
C’est aussi un alpiniste hors norme, un grimpeur qui randonne dans le huitième degré, un amateur d’extrême toujours à la recherche de nouvelles falaises à équiper.
Pas un topo de l’Italie qui ne comporte son nom.
Donc je me suis dit qu’une entrevue de Maurizio Oviglia permettrait d’ouvrir vos horizons hors frontières. Surtout que les sites web cités en fin d’entrevue possèdent des photos à faire rêver!
Ecco….
- Quelle est la plus belle voie que tu aies équipée?
C’est une question à laquelle je n’aime pas répondre: il existe tellement de paramètres un peu comme quand on fait une recherche sur Internet et qu’on nous demande de restreindre nos choix… Si on parle d’une voie longue (multipitch), je crois avoir donné le meilleur de moi-même (et je dois remercier mes compagnons : Larcher et Paissan) avec ‘’Sur le fil de la Nuit’’ aux Gorges de Taghia , Maroc (7c+, 560m). C’est une voie dont je suis particulièrement fier. Les commentaires enthousiastes de grimpeurs tel Arnaud Petit m’ont beaucoup plu et m’ont convaincu que nous avions bien travaillé. Sur le plan des cotations, je crois que ‘’Sole incantatore’’ (6c, 135m) à Aguglia en Sardaigne est ma voie qui est le plus répétée. Une cordée par jour! Il m’arrive de rencontrer des inconnus qui me remercient pour cette ouverture. Pour les voies d’une longueur, que considérer? La cotation? L’esthétique? La beauté? »
- Quelle est la plus belle voie que tu aies grimpée?
« Je pourrais répondre, comme je le fais souvent : ‘’la prochaine’’! Mais je cherche à être plus original alors je dois dire que j’ai un excellent souvenir de ‘’Jeef’’ en Corse parce que chaque longueur est une voie en soi, un monde dans un monde. En falaise, il m’arrive souvent de descendre en me disant ‘’mais qu’elle est belle, cette voie!’’ – ça m’est encore arrivé hier… Le problème c’est que je me dis encore la même chose dans des voies que j’ai faites une cinquantaine de fois. Serais-je malade? »
- Outre l’escalade et la montagne, quels sont tes intérêts?
« La musique, sans aucun doute! Le Jazz et le progressif sont mes genres favoris. »
- Existe-il, en Italie, des massifs vierges où pas un équipeur n’a mis les pieds?
« Certainement! Tout le sud de l’Italie possède des zones qui sont peu explorées et où il y a la possibilité d’ouvrir des voies et de trouver de nouvelles falaises. Pas seulement en Sardaigne mais aussi en Sicile, en Calabre et en Basilicata (région de Potenza). »
- Pourquoi, selon toi, l’Italie est-elle boudée par les grimpeurs français?
« En France, il y a passablement d’escalade sans avoir besoin d’aller à l’étranger, encore moins pour y faire de l’escalade sportive. Et, plus généralement, les Français n’ont pas la propension pour aller visiter les falaises célèbres des autres pays sauf en de rares exceptions, quand elles sont vraiment particulières comme à Val dell’Orco ou à Finale Ligure. Ce n’est pas uniquement l’Italie mais aussi l’Espagne bien qu’un peu plus à la mode. Par contre nous avons vu, en Sardaigne, ces dernières années, une recrudescence du nombre de grimpeurs français. Ce qui m’a poussé à traduire mon livre guide ( Pietra di Luna) en français ce que je n’avais pas fait de prime abord. »
- Il existe maintenant une cassure entre les activités ’’montagne’’, ‘’escalade’’, ‘’salles intérieures’’; selon toi, il existe une façon de rétablir le dialogue?
« C’est vrai, cette fracture existe et il n’y a que peu d’exceptions. Je ne crois pas que ce soit un mal en soit : il y aura toujours des relations entre les pratiques, une curiosité de voir ce qui se fait, ce qui existe ou ce qui s’est fait. Mais comme partout en Europe, c’est un problème général de culture qui se reflète dans beaucoup de choses, pas seulement en escalade. »
- Outre les topos – dont les tiens qui sont fantastiques – il n’existe plus de littérature d’escalade. Montagne, oui… escalade… plus rien! Tu as une raison à nous proposer?
« C’est un problème qui reflète la vision qu’ont les jeunes qui font de l’escalade. Ils cherchent à atteindre une cotation et veulent l’atteindre à toute vitesse. Il n’y a donc plus rien à dire ou à conter sur ‘’cette’’ escalade. A moins de pouvoir écrire de la poésie sur une séance d’entraînement sur un pan Gullich? A quoi sert de rêver si notre rêve se retrouve sur YouTube… il ne reste plus tellement d’espace pour celui qui a une conception romantique de l’escalade. Regarde… au contraire, en Angleterre, cette dimension n’est pas encore disparue et j’ai pu y trouver un exutoire pour mes récits de voyage. Pour cette raison, j’y retourne volontiers! Il y a le fait qu’il n’y ait pas de spits… mais aussi le sentiment général qui entoure le fait de l’escalade et rejoint ce que nous avons perdu ici. J’ai le sentiment profond que la sportivisation excessive (dans le sens de prestation) de l’escalade a anéanti son âme, la culture qui nous vient de son passé. »
- Si un grimpeur français avait un endroit à visiter en Italie… tu l’enverrais vers quelle falaise?
« Tout dépend! S’il aime l’histoire et l’escalade style ‘’années quatre vingt’’, les cotations qui ne sont pas données et les longueurs que tu dois gagner… sans aucun doute Finale Ligure. Sinon, s’il veut faire des vacances d’escalade tout en profitant de la mer et de sites enchanteurs… la Sardaigne possède la ‘’pole position’’! Ça me fait de la peine pour mes collègues qui vont m’accuser de ne pas être objectif! Je ne voudrai pas oublier la zone de Albenga, à l’ouest de Finale qui s’impose comme le futur Arco grâce au travail d’un ou deux équipeurs vraiment actifs et stakhanovistes comme je le suis moi aussi. »
- Ta saveur de crème glacée favorite?
« La Crema, sans aucun doute! C’est une sorte de vanille... Mais qui t’as dit que la crème glacée était mon dessert favori? »
- Tu équipes tes voies avec quel genre de matériel? Quels sont tes sponsors?
« Je cherche toujours à utiliser le meilleur matériel mais comme très souvent je dois payer l’équipement de mes poches, je ne peux trop dépenser! Souviens-toi que j’ai deux petites filles à nourrir… Près de la mer, j’utilise toujours du matériel en acier inoxydable, en général des scellements, mais quelquefois, à l’intérieur des terres, j’utilise de l’acier zingué. Dans les deux cas, je contrôle périodiquement l’état de mes points mais aussi celui des points des autres équipeurs. Mes sponsors sont E9 pour les vêtements, La Sportiva pour les chaussons et Kong pour le matériel technique. »
- Si un pauvre vieil équipeur canadien voulait venir en Italie pour y ouvrir des voies à peu de frais… tu l’enverrais où? Et ne me réponds pas ‘’au Muzzerone’’…
« Comme je te l’ai dit, le sud de l’Italie possède de tout pour tous! L’année dernière, j’y ai découvert une falaise vierge avec un potentiel de 300 longueurs! Alors…»
- Tes projets pour l’avenir … certainement pas venir au Québec car nous en sommes à 3.5 mètres de neige en pleine ville et il en tombe jusqu’à la mi-avril?
« Pourquoi ne pas aller y skier? Mais plus réellement mes projets tournent autour du verbe ‘’voyager’’. Quand j’avais vingt ans, je n’avais pas un sou; mes enfants sont nés alors que j’étais dans la trentaine… maintenant que je suis dans la quarantaine, je n’ai plus d’excuses : je veux voir le monde! »
- Ton travail, actuellement, c’est quoi?
« C’est un peu compliqué… quand quelqu’un me le demande, je dis que je suis journaliste. En réalité mon travail est tout autre, je fais des livres et je vends mon travail, des éditions touristiques sur papier comme sur le web. Je suis aussi devenu rédacteur de la revue Vertical International ce qui est sans doute beaucoup plus gratifiant. »
- Étrange comment les grimpeurs italiens de haut niveau ont une vie active très longue…
« Et bien, je ne crois pas que ce soit une prérogative italienne. Je suis profondément convaincu que l’escalade est un sport atypique dans lequel l’expérience et la ‘’tête’’ comptent beaucoup plus que le physique. Donc il est normal que quelqu’un ayant 30 ou 40 années d’expérience en escalade se serve de ses atouts et réalise des choses qui semblent impensables. Et quand la personne possède du talent comme c’est le cas de Manolo, alors l’impossible peut devenir possible! »
Voilà pour l’entrevue!
Admettez avec moi qu’avec 3000 voies, la Sardaigne a de quoi faire rêver.
Et c’est sans compter le soleil, le vin et la nourriture.
Pour le plaisir de vos yeux, parcourez :
http://www.sardiniaclimb.com
http://www.up-climbing.com
http://www.pietradiluna.com
ou achetez le topo de Maurizio grâce au lien plus bas .
Et la Sicile?
Allez voir le site web suivant :
http://www.freeclimbinginsicily.it
Pour le sud de l’Italie … et bien pour le sud … j’attends le retour de Maurizio, parti faire du hard grit en Angleterre pour une semaine. Dès qu’il me dit où est située la fameuse falaise vierge aux 300 longueurs, je vous le dévoile en primeur.
Juré !!!
Là je vais voir combien il y a de crédules chez mes lecteurs…
Non… vous pouvez toujours aller voir le site suivant :
http://www.zetaclimb.it/Falesie/sop=listarticles/secid=1.html
Ou encore mieux, achetez le topo de Versante Sud :
A SUD
Arrampicate sportive e alpinismo in Puglia Calabria Basilicata
Graziano Montel , 17.5 Euros
La bonne nouvelle dans tout ça, c’est qu’un expert me confirme que je m’améliore avec l’âge! Je vis assez vieux et je vais devenir le meilleur. Sans doute par attrition : tous mes adversaires seront passés sur l’autre versant. Et j’ai des doutes : ce n’est sans doute pas le Versant Sud!
Vaut mieux prévoir un voyage en Italie pour cet été : on ne sait jamais…
Merci, Maurizio Oviglia ! Garde la perceuse au chaud…
Souvenez vous qu’un traducteur est un traître. J’ai mis à profit l’italien appris il y a plus de vingt ans mais les erreurs, s’il y en a, sont les miennes. Désolé…
PIETRA DI LUNA
Prenotala ora:
tel - 070-684545
oppure spedisci una e-mail: marketing@sardiniapoint.it
autore: Maurizio Oviglia
• Prezzo al pubblico: EUR 30
• Spese di trasporto:
per l'Italia e l'Europa euro 7.2 euro
24/36 ore Corriere TNT -TRACO 9 euro
contrassegno 3.60 + TNT -TRACO 12 euro
editore: Fabula, 2004
Commentaires

Il y a une interview intéressante (en anglais) de Maurizio Oviglia sur le site britannique UK Climbing: http://www.ukclimbing.com/articles/page.php?id=805.