Alta Strada, la Haute Route Corse à ski

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Modération Article

[i]« Un hiver qui rappelle 1956 » - Corse-Matin[/i]

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Regroupés devant le poêle du refuge de Petra Piana, nous écoutons la météo : « Une fois de plus, l'hiver n'en finit plus de se terminer sur notre île... ». Le prévisionniste de Corte semble déprimé, nous le sommes aussi. Jouer au Uno, couper du bois, réparer une fixation arrachée, nous patientons en regardant la neige tomber à l'horizontale. Les sorties sont brèves, même si une accalmie nous permet de faire un exercice de recherche d'Arva et de creusement d'abri dans la congère qui jouxte le refuge. Après le repas du soir, soupe et bouillie de pâtes, on a encore comme un petit creux, malgré ce que notre intendante en chef affirme : "ce n'est pas de la faim, c'est de l'envie de manger". Nos estomacs semblant ignorer cette nuance, nous cueillons sur les étagères du refuge ce que nos prédécesseurs ont abandonné et nous nous couchons avec le bruit du vent qui siffle dans la toiture du refuge.

Chemins détournés

Trois jours plus tôt, dans la gare vide de Bastia, nous tentions de ficeler un plan B pour composer avec une météo calamiteuse: risque 4, plaques à vent généralisées sur les crêtes, une dépression annoncée. Jamais les stations automatiques de Corse n'avaient enregistré autant de neige qu'au cours de cet hiver 2005. Assis sur nos sacs imposants contenant les six jours d'autonomie prévus avant le ravitaillement au Col de Vergio, nous ne nous résolvons pas à regarder la neige tomber depuis un bar de Corte. Nous optons donc pour un départ de Tattone en aval du départ classique depuis le col de Vizzavona. Ce choix permet de rejoindre le refuge de l'Onda, puis celui de Petra Piana par un itinéraire forestier sans risques, qui emprunte la plate vallée de Manganello. Notre premier contact avec la neige corse est donc plus proche du ski de fond que de la rando, mais le paysage vaut cependant le détour : une belle forêt méridionale, que nous avons tout le loisir d'apprécier pendant les longues heures que prend ce cheminement détourné.

Un avant-goût du ski en Corse

Au réveil du 4ème jour, il fait presque beau. Une vague d'excitation s'empare du groupe et nous sommes très vite sur la crête qui domine le refuge. Le soleil et les nuages jouent à cache-cache, et nous décidons de skier les combes peu pentues qui descendent jusqu'à la vallée. Le terrain est bonhomme, nous traçons 40cm de poudreuse entre un pin larizzio et un bout de rocher, pour venir nous échouer au torrent en fond de vallée. Nous remontons alors que le vent et la neige nous repoussent au chaud derrière les murs du refuge.

Melo et Capitello

1er mars, 5ème jour, lever 6h. La météo annonce une éclaircie. Rapide coup d'oeil par la fenêtre, brouillard, neige, sortie de duvets pas franchement convaincus. A la fin du petit déjeuner, on sort, il fait grand beau sur les sommets, Nous partons donc pour une étape plus alpine vers Bocca Muzzella, le col de la Haute Route. On y accède par une longue traversée ascendante dans des pentes chargées où nous montons loin les uns des autres. Chaque zone entre deux rochers protecteurs est parcourue au pas de course, ponctué de coups d'oeils inquiets vers l'amont. Passé le col, le topo annonce un couloir à 35°, nous rencontrons à la place une jolie pente sans obstacles : la neige a tout rempli, et permet d'enchaîner quelques beaux virages. Nous repeautons au dessus du lac de Melo, pour rejoindre au mieux l'arête qui chemine vers Punta Alle Porta. Une fois rétabli sur le fil, nous le suivons tantôt à skis, tantôt à pieds. C'est assez pentu et exposé des deux cotés. Le piolet sert brièvement, mais pas les crampons, puisque sans les skis on brasse jusqu'à mi-cuisse. Une fois arrivés à la brèche de Capitello, la difficulté sera derrière nous. Nous cafouillons un peu, dépeautage, repeautage, remontée trop haut, redescente, le temps se couvre, la brume arrive, mais finalement la brèche se profile, et nous nous offrons double ration de fruits secs en regardant les deux lacs couverts de neige. La descente vers le refuge de Manganu est plaisante, facile et pleine de poudre.

Retour à la civilisation

Il fait beau, nous avons eu chaud toute la nuit grâce au radiateur à gaz du luxueux refuge de Manganu, cette étape vers Vergio s'annonce sous de cléments auspices. La transition entre l'étape précédente et celle-ci est radicale : les arêtes effilées et les paysages verticaux font place à la large combe qui abrite le lac de Nino, toute en douceur. Tandis que notre trace s'étire paresseusement jusqu'à Bocca A Reta, nous découvrons la mer. Le topo propose une traversée à flanc pour rejoindre l'hôtel du col que nous apercevons déjà. Pourtant les pentes en dessous de nous sont attirantes... l'hésitation est brève et nous traçons dans la forêt, hêtres puis pins, en désordre. C'est un peu à qui trouvera la meilleure ligne dans les entrelacs de petits ressauts et d'arbres. Comme depuis deux jours, cette descente nous parait encore meilleure que les précédentes. L'arrivée à Vergio se fait juste en dessous du vieux téléski de la station, c'est le retour à la civilisation après six jours de solitude. Ce soir nous dormons à l'hôtel. Nous savourons une Pietra (la bière corse) près du feu. A la 5ème tournée nous sympathisons avec deux anciens locaux, qui nous racontent la Haute-Route dans des conditions dantesques : « une corniche de 7m, il a fallu creuser une cheminée pour passer... ». Une fois douchés, vêtus de propre, rassasiés, la Myrthe offerte par le patron décidément sympa de l'hôtel nous achève, et nous nous couchons en zigzaguant. La météo pour les deux jours qui arrivent est mauvaise.

Vous reprendrez bien un peu de blizzard ?

Au petit-déjeuner dans la grande salle vitrée et déserte de l'hôtel :
- Il neige pas mal là non ?
- Oui, mais au moins y'a pas de vent.
- ??
- Ah si en fait, il y a du vent
Etape désagréable, il fait froid, on n'y voit rien, on a la forme d'un lendemain de soirée, on perd du temps dans la forêt. Puis le vallon du Golo, et toujours la neige, le brouillard, et surtout le vent qui aujourd'hui souffle décidément très fort. Nous sommes soulagés de trouver au GPS le refuge Ciottulu di i Mori, à la moitié de l'étape prévue. Dégager cinq bûches glacées nécessite une demi-heure de pelletage dans le blizzard. Il faudra le reste de l'après-midi et de nombreux thés pour poser la doudoune à l'intérieur. Toutes nos affaires sont détrempées, les deux fenêtres dégagées à la pelle sont de nouveau sous la neige en quelques heures. Nous ne mettons pas de réveil pour le lendemain, et c'est Bertrand qui nous tire des duvets vers 7h30 : nous sommes entre deux couches de nuages, on peut skier.

Il y a une corniche impressionnante au Col de Foggiale, cinquante mètres au dessus du refuge, nous descendons dans des pentes superbes, qui vont en se rétrécissant vers le fond de la vallée. La neige est incroyable, on peine à sortir les spatules. Il faut remonter quelques 400 mètres de forêt dense pour rejoindre le refuge de Tighiettu, avec de nombreuses traversées de ruisseau, spécialité corse qui donne l'occasion d'admirer les talents de chacun pour le mixte à skis : hop conversion sur le gros rocher rond, hop appui des spatules sur la branche cassée, fléchissement, et réta sur l'autre rive. Différentes philosophies s'affrontent : Julien prend de la vitesse, ferme les yeux et crie « Ca paaaaaasse » d'autres tentent de périlleux équilibres. Le soleil nous accompagne jusqu'au refuge. Une partie du groupe part tracer les pentes que nous remonterons demain, pendant que le reste se prélasse lamentablement près du poêle. Le raid approche de son terme, il ne nous reste plus qu'à rejoindre le village d'Asco. Déjà le soir, nous commençons à penser au retour, bateau, train, au lundi difficile qui nous attend. Le sommeil prend pourtant le dessus, il est 21h, demain le topo nous prévoit 6h de course puis 14km de route à descendre, peut-être à pied. Le lever à 4h s'impose.

Skis aux pieds jusqu'aux portes d'Asco

Nous partons sur la trace déjà faite. Le soleil nous rejoint alors que nous arrivons au Col du Vallon à 2380m. Les derniers mètres se font skis sur la sac sur de la neige glacée et des rochers, certains sortent même les crampons, histoire de ne pas les avoir portés dix jours pour rien. Le vent souffle, et entre les lambeaux de brume nous découvrons des pentes raides chargées et peu engageantes. Hugues avance en traversée, une fissure longue d'une dizaine de mètres se forme, il stoppe, hésitant. Un peu plus loin à droite, toujours en traversée, une plaque part sous ses skis. C'est assez superficiel, ça ne finit pas en aérosol, et en skiant dans les traces de cette petite coulée, on quitte la zone avalancheuse. Plus bas il y a toujours de la pente, mais c'est beaucoup plus sain et nous louvoyons entre des rochers, des systèmes de barres, des ressauts de glace bleue. L'endroit est magique. C'est la dernière orgie de poudreuse, les dernières traversées de ruisseau, et derrière les pins se profile la route. Les dieux et la DDE corses sont avec nous, le chasse-neige et plusieurs 4x4 sont passés et ont laissé une belle couche bien dure sur l'asphalte. Malgré la faible pente, nous glissons donc skis aux pieds jusqu'à 4 km d'Asco, que nous atteignons à 11h. Depuis le col nous avons fait 1600m de dénivelé négatifs skis aux pieds. En Corse.

Dans le taxi qui nous ramène à Bastia, les têtes dodelinent. Les heures précédant l'embarquement pour le continent seront consacrées à satisfaire des envies culinaires variées et faire un stock de figatellu et autres charcuteries locales. Le lendemain, Grenoble est sous la neige, on aurait presque préféré du soleil et du bitume sec.
« Une fois de plus, l'hiver n'en finit plus de se terminer...»

Bertrand, Cécile et Hugues.

Aspects pratiques

La Haute Route Corse est un raid à skis en autonomie dont on peut varier les contours à l'infini suivant le temps dont on dispose, et les conditions. Nous avons réalisé 7 étapes en 9 jours, de Tattone près du Col de Vizzavonna jusqu'au village d'Asco. En fonction de l'enneigement, le poids des sacs peut s'alourdir des skis à porter sur de larges sections.

Hébergements

Les refuges du PNRC sont très bien équipés. Il y a du gaz et du bois dans tous les refuges. Ils comptent toujours plus d'une dizaine de place. Petra Piana et Tighiettu sont particulièrement confortables. A Vergio, l'hôtel Castel Di Verghiu permet une pause civilisée, et surtout une douche chaude. Si on loge au gîte, au confort sommaire, il en coûte 35 euro par personne avec la demi-pension.

Ravitaillement

Pas de secret, il faut porter sur l'Alta Strada. Un ravitaillement est possible à Vergio, où l'hôtel vend des produits de base et ou nous avions envoyé un colis. A titre indicatif, nous avons porté chacun un peu plus de 3 kilos de nourriture. Bon, on a eu un peu faim...

Matériel

Il faut prévoir le matériel de raid d'hiver. Crampons et piolets sont indispensables, les crêtes étant très souvent glacées en Corse; Pour le reste, notre fond de sac était classique, 3 couches pour tout le monde plus une doudoune pour le soir, duvet, un mousqueton et une grande sangle, APS. Pour le groupe 30m de corde, 2 broches, des bâtons et un Arva de rechange, une bonne trousse de réparation, une pharmacie, et un GPS complétaient notre équipement. Nos sacs pesaient une quinzaine de kilos.

Météo et enneigement

Apparemment 2005 risque de rentrer dans les annales pour sa neige surabondante. Il peut aussi arriver de chausser seulement à 1500m. La meilleure période pour faire la Haute-Route reste les mois de février et mars, où la neige peut être présente en quantité.
Il faut bien penser que la Corse est une île. Par conséquent les précipitations et le vent, qui n'ont pas rencontré d'obstacles depuis Nice, arrivent à toute berzingue sur les massifs de la Corse. Le temps change vite, et il peut faire très mauvais.
Météo France et le GHM de Corte peuvent fournir des renseignements sur le manteau neigeux et le risque d'avalanches. Les téléphones portables permettent de prendre la météo depuis Petra Piana, Vergio, le Col de Foggiale. Ailleurs soit il n'y a pas de réseau, soit on n'a pas essayé.

Transport

La SNCM et Corsica Ferries assurent plusieurs traversées par jour. Les chemins de Fer Corses permettent de rejoindre Vizzavona, et le taxi autorise des départs dans des endroits plus perdus (nous avons pris les taxis de Ponte Leccia, 04.95.47.64.74.). On peut aussi atterrir à Bastia ou à Ajaccio.

Itinéraire

Le PNRC édite un très bon topo complet sur la Haute-Route. On trouve aussi une brève description dans les "100 plus belles" consacré à la Corse. Une description détaillée de l'itinéraire que nous avons suivi et des conditions rencontrées est consultable sur le topoguide.

Difficulté

Il s'agit d'un raid de difficulté moyenne. Il faut pouvoir faire 1000m de dénivelé quotidien avec un sac lourd, être capable de s'orienter dans le mauvais temps, et parfois skier sans tomber. Les difficultés pures, raisonnables, doivent être replacées dans les conditions d'un raid : autonomie, fatigue...