Trek au Wakhan : la plus belle avenue du monde ! (*)

Activités :
Catégories : expéditions, récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Modération Article

i : le titre est tiré de Par les sentiers de la soie. A pied jusqu'en Chine
Livre de Philippe Valéry publié par la maison d'édition Transboréal[/i]

129361
129362
129363
129364
129366
129367
129368
129371
129372
129365
129369
129370

25 mai 2003
700 km au compteur depuis Tachkent soit 14h de bus sur des routes chaotiques mais goudronnées, et enfin Termez, dernière ville Ouzbek avant l’Afghanistan au sud. On s'engouffre dans un taxi, direction l'Amou Daria (anciennement Oxus), de nombreuses formalités Ouzbek (Visite médicale : Vous allez bien ? Oui. Vous avez de la température ? Non. Vous pouvez sortir; au suivant ! :o) :o) ) remplies sans problème et, enfin, la traversée du Friendship Bridge… Traversée du pont, battu par le fort vent accompagnant les flots marrons de l'Amou Daria, à pied sous une fine pluie bien serrée, comme il se doit, digne des meilleurs films d’espionnage!!! Notre solitude sur le pont, hormis les deux ou trois militaires, engoncés dans leurs imperméables, présents aux check-post, ajoute au surréalisme de la situation… Ce n’est plus l’heure de réfléchir à la question mille et une fois posée : est-ce raisonnable ??? Et pourtant, instant de doute où tout peut basculer mais à chaque pas succède un autre pas... Au bout du pont, le militaire de faction ouvre la grille, le sol Afghan est maintenant sous nos pieds : oui, nous y voilà !!!

Les formalités afghanes sont dérisoires, même pas un coup de tampons dans le passeport !!! Et déjà, le Taxi du Ministère des Affaires Etrangères démarre direction Mazâr-e charif. Premier choc : les nombreuses carcasses de chars traces indélébiles laissées par 22 ans de guerre dans ce désert… Des faubourgs où les containers offrent le meilleur abri qui soit pour les échoppes ! Des immeubles criblés de douilles et au dernier étage éventré ! Heureusement, la mosquée bleue est toujours là, centre immuable, véritable cœur et poumon de cette ville. Voici, pour le visiteur venant de Kabul sur le seul ruban bitumé du pays, Mazâr e charif, la grande ville du nord - deuxième ville afghane –un bourbier immonde sous la pluie qu'une après-midi de soleil suffit à transformer en un nuage de poussière ! Ce sera notre première halte, le temps de faire réparer un appareil photo, de déambuler dans le Bazar où les simples voiles ont gagné que très peu de terrain par rapport à la burka… La ville s’organise par activité… Le bloc des échoppes de tapis où les représentations d’armes, d’avions de combat ou d’immeubles en feu concurrencent les motifs afghans traditionnels. Le bloc des ferrailleurs, le père forge pendant que l’enfant de 10 ans actionne le soufflet, où les carcasses d’obus s’empilent en attendant d’être transformé divers objets quotidiens.
Le point sécurité est positif, on peut donc partir par les routes... Le ruban bitumé Mazâr - Kabul peut encore porter le qualificatif de route puis l'on bifurque direction Kunduz, Taloqan lieux trop connus de la ligne de front entre Taliban - Alliance du Nord au début des années 2000... Le bitume porte de plus en plus les stigmates des 22 ans de guerre de cette terre jusqu'à finir par complètement disparaître !!! Il réapparaît sur quelques kilomètres comme un songe avant de définitivement laisser la place aux pistes de rocailles. Même celles-ci sont parfois complètement ravagées, la nature fait son oeuvre : ponts détruits, pistes emportées... Il faut nous habituer à un autre rapport distance/durée avec au mieux une moyenne de 20 km/h !

Enfin les montagnes du Badakhshan : les caravanes de grands nomades en marche - troupeaux de milliers de têtes d'ovins avec les hommes à pied puis suivants les femmes et les enfants fièrement montés sur leurs chameaux ornés de pompons multicolores-, les champs de pavots blanc & pourpre, les champs de mines - de part et d'autre de la piste - bordés de pierres blanches et rouges (merci les ONG) quand celles-ci (comme les mines ?) non pas été emportées plus en aval dans le lit de la rivière là où passe la piste !! Kalafgan, Keshem, Artin Jelow, Sabz Bahar, Feyzabad : lieux de passages, lieux d’étapes dans des Tchaikhanas où les regards chargés de curiosités se fixent sur nous… Baharak , Zard Khan : la route, après trois journées, s'arrête là à cause d'une double crevaison ! Il est 16H, au milieu de nulle part, aux confins de l’Afghanistan sur une route quasi déserte et avec deux compagnons, le chauffeur et son aide, complètement explosés à force de consommation des plantes locales… C’est donc à pied que l’on part en direction d’Eshkashem bien que cette porte d’entrée du Wakhan semble hors d’atteinte avant la nuit…

Mais la providence… un village à flanc de montagne domine la route, au bord de celle-ci une école et, qui jouxte, une petite bâtisse… personne… un groupe d’enfants, revenant des maigres pâturages, accoure rapidement… quelques sourires, quelques mots de Darri… ils repartent… enfin deux adultes arrivent… la bâtisse n’est que le sérail du village, digne descendant des caravansérails d’antan… premier contact avec l’hospitalité légendaire des afghans…

Aube nouvelle, dans des paysages déjà superbes, c’est donc au rythme lent de marcheurs que l’on franchit le col qui permet de redescendre à dans la vallée du Pianj (ou Amou Darya ou Oxus…).

Le Wakhan est devant nous; au petit matin nous voila repartis du pas lent des marcheurs sur "la belle avenue du monde" :
- dans le rétroviseur, les 5 000 & 6 000 afghan qui ferme le Nord du Panjshir et du Nuristan;
- à gauche le Pianj qui marque la frontière, le monde version soviétique puis les 6 000m du Pamir Tadjik -Pic Karl Marx,...-;
- devant, loin devant, le massif afghan du Koh-e Pamir point d'élargissement du corridor et de division du Pianj;
- à droite, les 6 000 & 7 000 afghano-pakistanais de l'Hindu Kush -Noshaq, Tirich Mir,... -;

et, sous les pieds, le sable, du jaune au noir, alterne avec la pierre au milieu d'étendues désertiques jalonnées de pauvres villages accrochés à quelques ingénieux canaux d'irrigations.

Wark et une nuit à la belle étoile presque imaginaire dans cette région du monde.

Degurgund, Urgunti, Pyguich, Khandud, Paqui : des rencontres chaleureuses - depuis l’invasion soviétique, hormis quelques expatriés d'ONG de passage dans leur gros 4x4, les visiteurs se comptent sur les doigts d'une main !!! -, un accueil et une hospitalité extraordinaire des Ismaéliens. La même que celle de leur frère de la vallée pakistanaise de la Hunza, la curiosité et l’envie de retrouver l’âge d’or des années 70 en plus…

Quatre jours de marche, sous un soleil de plomb - à 2 800m d'altitude, la montre affiche 35°c ! - , en plein Moyen-Âge - labour au socle de bois tiré par les boeufs, hersage à la main, du pain et de l'eau pour unique nourriture - gravées à tout jamais dans le marbre de nos mémoires pour atteindre Qala-i-Panjah, chef lieu religieux et milicien du Wakhan. Le doute d'Eshkashem est levé : pour aller plus loin - voir même pour venir ici normalement...- il faut une lettre d'autorisation transmise de commanderie en commanderie depuis Feyzabad !!!

Une journée de repos, et nous voila donc escorter par le Commandeur local de retour sur Eshkashem puis Baharak pour obtenir la lettre... Oui mais nous évoquons le passage de frontière Tadjik (sans avoir les permis Tadjiks…), refus afghan : la route de l'Opium ne s'emprunte pas comme ça !!! Mieux vaut rester discret sur ces projets… Les hauts plateaux kirghizes du bout du Wakhan seront donc pour une autre fois…

Il en reste la découverte d’une région fabuleuse où les faces glacières, les hauts sommets offrent une foison incalculable de possibilités…

Ba amaan e Khoda,

Informations pratiques

La guerre a complètement détruit le tourisme
qui existait dans les années 70. Cet Age d’or dont les Wakhi se souviennent si bien.

L’Afghanistan reste une zone instable où tout voyage se vie encore sous le signe de l’imprévu quotidien….. Néanmoins nous n’avons eu aucun problème de bakchich ou de banditisme durant la grosse quinzaine de jours sur les routes en transport commun local (des minibus 4x4 surnommé Flying Coach vu l’état des routes….) !
Les Afghans sont très curieux des touristes étrangers : l’intimité n’existe pas !

Le Wakhan est une zone fabuleusement préserver du tourisme de masse. Les Wakhi ont gardé un contact très innocent avec l’étranger. Malgré leur extrême dénuement, l’hospitalité légendaire des Ismaéliens rend tout trek dans cette région merveilleux. Il est plus que souhaitable d’essayer de préserver cet état d’esprit : petit groupe, apporté des denrées rares et cher plutôt que de l’argent ? ? Le Wakhan reste une formidable terra incognita pour amateur averti…

Pour les possibilités qu’offre la région, il semble que le plus accessible est de trekker en aller-retour dans le corridor (autorisation de circulation à obtenir à Feyzabad ou Baharak et à ce faire valider de commanderie en commanderie…). Comptez 4 jours entre Eshkashem et Qala-e-panjah : aucune difficulté : marche sur une piste carrossable, seulement 2 ou 3 véhicules croisés en 4 jours et des paysages exceptionnels. Comptez 5 ou 6 jours de plus pour Wakhan terminus de la piste carrossable. Faisable en vélos pour les amateurs du genre… Pour éviter l’aller-retour à pied mieux vaut négocier le véhicule pour l’aller, vous serez sûr d’en avoir un et pas de contrainte temporelle pour négocier…

Quid des traversées ?
La frontière chinoise est fermée, avec une zone d’exclusion touristique côté chinois donc traversée déconseillée sauf aux amateurs de séjours en geôle ! !
Au Pakistan, la zone Nord étant fermée aux étrangers, il semble improbable de rejoindre le Wakhan par cette route. En sens opposé, les Pakistanais ne vous demanderont que de rejoindre au plus vite la KKH.
Pour le Tadjikistan, le sens Sud-Nord semble à déconseiller : c’est la route de l’opium ! De plus, si vous mentionnez la traversée de frontière, les Afghans ne vous délivreront pas d’autorisation ! Dans le sens Nord-Sud la question reste de savoir si cette zone du Pamir est accessible…

**Accès (Comment aller au bout du monde…) **
Le Wakhan étant pour finir rester une des zones stables même dans le tumulte des guerres civiles, on peut espérer que cela perdure... Le plus difficile reste donc bien l’accès…
Le plus direct et le moins coûteux en visa reste de passer par Kabul. Pour rejoindre Feyzabad, prévoir 2 jours de routes chaotiques ou négocier un vol intérieur aléatoire. 1 journée supplémentaire pour Baharak… S’offre aussi la possibilité de remonter le Panjshir pour rejoindre directement Baharak. De Baharak, 1 journée aux paysages déjà sublimes vous mène à Eschkashem la porte d’entrée...
En cas de dégradation de la sécurité sur Kabul, la solution la plus sûre semble le passage par le Tadjikistan (pas non plus hautement touristique...) Atterrissage à Dushanbe puis environ deux journées de routes sur la Pamir Highway pour rejoindre Ishkashim (nécessite d’avoir obtenu le permis Gorno-Badakhshan Tadjik). De là, il suffit de franchir la frontière pour se retrouver à Eschkashem à l’entrée du corridor.

Remerciements
à Olivier pour avoir été guide-interprète exceptionnel et un ami toujours aussi fidèle;
à ceux qui sont restés en France un peu anxieux mais qui m’ont laissé aller au bout de mon projet…

Dédicaces
à Loïc, tombé en montagne beaucoup trop tôt, qui fut le premier d’entre nous à mettre le cap à l’Est et sans qui la rencontre avec Olivier n’aurait pas eu lieu…
à Matthieu, grimpeur, telemarkeur, voyageur… trop jeune pour partir sur son lit... malgrés les même compagnons de cordée, nos chemins non pas eu le temps de se croiser...

Texte : Pierric Deransart
Photos : Olivier Piaguet & Pierric Deransart