Aventure Verticale au Groenland

Activités :
Catégories : expéditions
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Modération Article

Le problème, après une telle aventure, c’est de savoir par où commencer son récit qui de toute façon sera maladroit et confus tellement elle fut riche en expériences et souvenirs.

Alors voilà, tout commence chez nous en Savoie autour de quelques verres, quelques photos et accompagnés de quelques amis déjà riches de nombreuses expés. Là on se pose des milliers de questions, quel massif, quel objectif mixte ou rocher, à quelle date, quelle logistique et la météo au fait à cette période. Et puis d’un coup, comme par miracle, tout le monde tombe d’accord sur un objectif, une montagne. Pourquoi ? Comment une simple photo peut-elle générer autant d’enthousiasme … ? Pour nous cette photo c’est celle de l’Ogre’s Stump (5487 m) au pied du Baintha Brakk (7285 m) au Pakistan. Sa face sud-ouest de 800 mètres présente un itinéraire ED de 23 longueurs ouvert en 1988 et tout à fait dans nos cordes (enfin c’est ce qu’on se dit avant d’être au pied…). Malgré quelques inquiétudes sur la situation géopolitique on se jette à fond dans les préparatifs. Mais plusieurs sources fiables ne sont pas de trop pour nous rassurer. Malheureusement un attentat à Karachi visant les intérêts français détruit par la même occasion tous nos espoirs de se rendre là-bas. On est peut-être motivé et téméraire mais pas complètement fous. Il faut tirer un trait sur le Pakistan.

Et nous revoilà, 1 mois avant notre départ, autour de quelques bières avec David qui nous montre ses photos d’une précédente expé au Groenland. Il jure que c’est la destination qu’il nous faut : dépaysement total (icebergs), rocher magnifique et aiguilles encore inexplorées (sauf par lui, alors là c’est du tuyau de premier choix).

Cette fois c’est sûr, on part au « vert pays » (Greenland en anglais).

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11 juin 2002 : il y a quatre ans à quelques jours près, l’équipe de France de foot était championne du monde. Aujourd’hui elle se fait sortir par le Danemark et comme par hasard nous sommes à Copenhague, la capitale, en escale pour le Groenland. Une chose est sûre on ne passe pas inaperçu, même dans Christiania, le quartier hippie.

Mais le lendemain toute cette euphorie est oubliée quand nous découvrons nos premiers icebergs à la sortie de l’aéroport de Narsarsuaq. Nous n’avons qu’une hâte, nous rendre à Nanortalik, point de départ de nos excursions. Pour çà il faut deux jours complets de bateau avec une escale à Qaqortoq (compter environ 600 DKK) (1 couronne danoise = 1 franc français). Durant le voyage l’excitation est à son maximum même si le bruit du bateau heurtant les icebergs pour se frayer un passage peut rappeler les pires moments du Titanic. A peine arrivés à bon port, Neils, le directeur de l’office du tourisme, nous met le grappin dessus. Apparemment nous sommes les premiers touristes de la saison…

Bien que soucieux de son business, il est très sympa (tout comme son fils Peter très bon interprète pour les soirées au bar et attaquant vedette de l’équipe de foot victorieuse de la south greenland cup) et arrangeant. Voici ces coordonnées, çà peut toujours servir : NielsTaekker Jepsen .

14 juin 2002 : à peine le temps de découvrir le village de Nanortalik qu’il nous faut penser à notre premier départ. Objectif : l’île de Sermersoq à une heure de bateau au nord. Après un repérage depuis la colline derrière le village, il faut charger nos bidons sur le bateau qui nous débarquera sur l’île. Il nous en a coûté 1000 DKK. On apprendra à notre retour qu’il est possible de faire le même trajet pour deux fois moins cher…

15 juin 2002 : le soleil est au rendez-vous pour le premier de nos 10 petits déj sur l’île. Le camp de base est à 50 mètres de la mer un peu à l’abri du vent et les icebergs constellent une mer d’huile. C’est bien beau tout çà mais c’est quand qu’on grimpe… Alors action. Après deux heures de marche nous déposons du matériel au pied d’une face visible depuis le camp de base. La qualité du rocher nous rassure : çà grimpe. Mais ou est la belle aiguille que nous convoitons tant ? Alors on pousse plus loin le repérage en montant sur l’arête à notre gauche. Bingo la « Dibona » du Groenland est juste derrière. Le soir de retour au camp de base on pêche en pensant aux deux belles faces qui vont entendre parler de nous dans les prochains jours.

16 au 23 juin 2002 : nous partons donc au petit matin, chargés de 7 jours de nourriture, une tente, tout le matériel de montagne et de bivouac.
Après 2 h 30 de marche, nous arrivons à l’emplacement du premier camp. On croit rêver, il fait alors 35°C au soleil (toilette et lessive pour tout le monde). En fin de journée nous montons du matériel au pied de la face. Depuis notre arrivée nous attendions ce moment avec impatience : les premiers mouvements sur ce fantastique rocher. La première longueur tombe à 7 heure du soir, nous sommes en tee-shirts, just for fun… Le lendemain, même si le temps est moins clément, nous réalisons la totalité de cette escalade magnifique : « Buffet froid » 6 longueurs, 5+ et un beau dièdre. Ce fut une journée tellement agréable que Marie s’est laissée fondre de joie.

Le lendemain, le 18, nous démontons le camp pour passer cette fois ci, chargés comme des mules, derrière une arête où nous attend cette fameuse Dibona …

Le jour suivant, nous sommes à l’attaque. But du jeu : gravir les 500 mètres dans la journée. Bien qu’on se soit trimbaler 200 mètres de stat jusqu’ici (au cas ou), on veut grimper tous les trois, vite, en libre et sans fixer. C’est Marie qui s’y colle la première puis Pierre et Matthieu. Le temps est superbe, les longueurs s’enchaînent remontant des fissures franches et des dièdres accueillants. A la 11e longueur Matt se heurte à un petit mur compact. Il sort les étriers et fait parler les knifeblades. Le sommet n’est vraiment pas loin, une ou deux longueurs, trois au maximum. Mais il est tard et il faut penser à redescendre. En trois rappels on atteint une selle neigeuse au niveau de R7. De là, une pente évidente nous ramène au pied de la face. Put… que ce fut une belle journée. Le sommet c’est pour le prochain coup.

Le surlendemain, nous repartons donc dans le temps gris et reprenons la voie au niveau de L7. Dès le début de l’escalade, il fait très froid et le vent souffle fortement. C’est dans cette atmosphère glaciale que nous atteignons le point le plus haut atteint avant-hier. Malheureusement, la neige, le vent, le froid et la configuration de la fin de la voie nous amènent à faire demi-tour alors que le sommet est à bout de bras ! 15 petits mètres ridicules nous en séparent… Mais on fait le choix de redescendre. Une de ces descentes où on se dit qu’il ne vaut mieux pas faire d’erreur (genre coincer la corde alors que le vent la met à l’horizontale) sinon c’est la galère. Ce sera la première grosse frustration de ce périple… On appellera quand même ces 500 mètres (moins les quinze derniers) et 13 longueurs « Dibonaland ». Le mauvais temps s’installe pour deux jours et nous redescendons sous une pluie glaciale jusqu’au camp de base où le pêcheur viendra nous chercher comme prévu.

24 au 26 juin 2002 : 3 jours à Nanortalik pour préparer notre prochain départ pour le fjord du Tasermuit. La moindre éclaircie est mise à profit pour faire sécher le matos. Mais le plus difficile est de trouver un bateau qui nous mènera là-bas pour pas trop cher. Neils (rappelez-vous : le mec de l’office du tourisme) a bien une solution à 5500 DKK mais le budget risque de ne pas supporter. A ce prix là on aurait même plus de quoi se payer une bière au « Cap Farewell » qui est à un prix limite prohibitif (compter 25 DKK en happy hour et 45 DKK plein pot pour une blonde de base !!! …). Finalement en alpaguant le premier type sur le port on réussit à négocier un aller-retour pour 2500 DKK. En fait, le type est l’instit du village. Il est donc en vacances et comme là-bas ils ont tous un bateau ça tombe bien. Pour la petite histoire sachez qu’au début il nous demandait 3000 DKK. Mais en lui proposant deux bouteilles de vin achetées 15 balles en France il a baissé son tarif de 500 DKK !!! Pas étonnant quand on sait que la moindre bouteille de côte du Rhône ou de costières de Nîmes se trouve en supermarché 10 fois plus chère qu’en France… Moralité : on conseille aux alcooliques d’envoyer leurs munitions par fret (pareille pour les fumeurs).

27 juin au 4 juillet 2002 : deuxième débarquement cette fois sur les berges du fjord du Tasermuit mondialement connu, depuis déjà quelques années, pour ses big walls (les premières voies ont été ouvertes dans les années 1975). Ce n’est pas l’Ulamertorsuaq (Kétil), ni le Nalumasortoq (aig. de l’M), ni le Suikarsuaq que nous avons choisi mais une face de 500 mètres jusque là peux explorée (une seule voie alors que le Suikarsuaq en compte au total une vingtaine) : le Demi-dôme. Nous projetions soit de répéter l’unique voie de la face nord-est à savoir « Les temps sont durs » (500m ; 15 long. ; 6c en juin 1998 par Truffer/Lehner/Castella/Zambetti) soit d’ouvrir dans la face nord encore vierge. Mais (car il y a un mais et de taille !), mise à part la première journée où il fit beau et que nous avons mis à profit pour repérer les lieux (histoire de se mettre l’eau à la bouche…) tout le reste de notre séjour dans le fjord ne fut que pluie, pluie et pluie. Résultat : 8 jours sans grimper, à marcher sous la pluie, à jouer aux cartes, à lire, à pêcher, à faire des concours de tamponnoir, à guetter l’amélioration qui ne viendra pas… Paraît-il que juin est la période la plus stable mais que le problème est la navigation !!! Les Inuits nous l’ont bien confirmé mais nous ont dit aussi qu’ils n’avaient pas vu un début d’été aussi pourri depuis très longtemps. Deuxième grosse frustration.

5 au 11 juillet 2002 : notre dernière semaine au Groenland fut riche de rencontres, de situations cocasses et de rebondissements. Normalement nous disposions de largement assez de temps pour rentrer tranquillement sans trop s’inquiéter pour l’avion. Mais le hasard ou la mal chance en a décidé autrement…

De retour à Nanortalik nous faisons la connaissance d’un groupe de lycéens suisses de l’abbaye de St Maurice (Valais) qui viennent d’arriver. Avec les trois guides, le médecin, le prêtre et l’intendante cela représente un groupe de 22 personnes. Heureusement ils sont tous sans exception super sympas et comme nous ils dorment sous tentes en squattant plus ou moins les « comodities » de l’auberge de jeunesse toute proche. Elle est occupée par un anglais de 38 ans (20 dans sa tête), Neal, super cool, parlant très bien le français et seul vrai propriétaire des lieux car seul à payer les 240 DKK pour jour à l’autre Niels (celui de l’office).

Tout ce petit monde fait connaissance lors des soirées fléchettes au bar du Cap Farewell ou à la disco du Tupilak. Pour s’occuper avant que tout le monde parte, on fait du bloc dans le village accompagnés par les rires des gamins du coin, on joue au foot, on marche sur les collines voisines, on écrit des cartes postales, on organise notre retour.

Mais un trouble fête, « le pack », va modifier tout nos plans. Le pack c’est cette grande quantité de glace qui constituait la banquise et qui dérive du nord au sud le long des côtes et vient boucher les fjords. Il fait grand beau (ça faisait longtemps) mais impossible de quitter l’île avec d’aussi mauvaises conditions de navigations (dixit Niels des conditions de début mai). Résultat : tout le monde patiente. Les suisses sont pas pressés (sans mauvaises blagues aucunes), ils sont là 6 semaines avec 2 tonnes de matos. Mais nous on a un avion à prendre et il faut absolument qu’on soit à l’aéroport le 10 juillet.

Le 6 juillet, une partie du groupe des suisses part pour le fjord Prins Christian Sund (1e adieux). C’est un fjord très sauvage et encore très peu exploré. Les premières voies ont été ouvertes par des anglais l’été dernier. On a vu leur rapport d’expé à l’office du tourisme et ça a l’air grandiose. Aux dernières nouvelles les suisses y ont ouvert plusieurs voies d’environ 700 mètres. Mais ne vous inquiétés pas on vous fera un topo détaillé de toute ces belles ouvertures dans un prochain article sur camptocamp évidemment.

Le 7 juillet normalement c’est à notre tour de partir mais i y a toujours trop de glace (maybe tomorrow comme disent les inuits). La solution de l’hélicoptère doit être envisagée.

Le 9 juillet la deuxième partie du groupe des suisses tentent de rejoindre sa moitié. Après le chargement des caisses nous leur disons adieux avec comme une petite amertume qu’ils partent avant nous (Nanortalik c’est beau mais on finit par y tourner en rond…) (2e adieux). Mais OH surprise deux heures après les voilà de retour : le pack est trop compact. Nous les accueillons à bras ouverts par un WELCOME IN GREENLAND chargé d’ironie. Eux ils rient jaune (maybe tomorrow).

Le 10 juillet, après milles palabres, (c’est souvent les expés paraît-il) nous pouvons monter dans le bateau du retour. Mais le problème est que nous prenons l’avion demain et qu’il nous faut faire en 1 jour le trajet qui nous en avait demandé 2 à l’aller. Bref on est dans le bateau et c’est l’essentiel. On dit au revoir aux suisses sur le port et les amarres sont levés (3e adieux). Mais à l’avant dernier, sans même que le bateau est quitté le quai, tout le monde redescend. « IT’S A JOK » demande Marie au manœuvre. « NO » on doit attendre midi il y a trop de glace « MAYBE TOMORROW ». Alors là on pète les plombs. Il faut tout décharger et les suisses sont soit morts de rire et nous jette à la figure un « WELCOME IN GREENLAND » qui nous achève soit très inquiets de savoir comment ces trois petits savoyards vont quitter ce maudit village. Mais nous avons de la ressource. On fonce à l’héliport, après s’être fait rembourser le bateau, dernière solution pour être demain dans l’avion. Sur le quai il nous faut revoir toute notre organisation bagages car on est limité à 15 kg par personne. Résultat : les suisses héritent de 300 mètres de stat de la tente CB… 4 heures après et un surplus budgétaire de 600 DKK par personne nous quittons enfin Nanortalik en hélicoptère (4e adieux). Le vol est magnifique (à ce prix là…) et seulement 35 minutes plus tard nous sommes à l’aéroport de Narsarsuaq où nous prenons l’avion demain. OUF, OUF, OUF et REOUF Marie sera à l’heure au boulot 12 heures après avoir posée le pied sur le tarmac de Lyon St Exupéry.

Pierre Mayet
Marie Ponson
Matthieu Noury

Nous remerçions particulièrement :
- La Fédération des Clubs Alpins Français (FCAF)
- La Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade (FFME)
- La Ville de Chambéry
- BEAL
- Millet
- PETZL Charlet Moser
- Vuarnet
- Sport 2000 Chambéry

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