Salaud !! (par Jean-Pierre Banville)
Il y a quelques minutes encore, en terminant un verre de rouge, je pensais à lui.
Il y a quelques minutes, en me faisant prendre sous la pluie, je pensais à lui.
D’accord… je mène une existence solitaire et je ne peux que penser à mes amis. Mais mes amis sont vivants. Au loin, mais vivants.
Pierre, lui, est mort.
Ce qui est dommage considérant le manque de vitalité du milieu qu’il aimait tant.
Je n’aime pas le consensus mou qui s’est installé et les quelques voix qui s’élevaient dans le désert s’éteignent les unes après les autres. La mort, bien entendu mais aussi, pour certains, la frustration causée par un environnement qui se refuse à réfléchir à son avenir.
Nous vivons l’instant présent, bien au chaud dans notre bulle et pensons qu’un message sur un forum représente l’ultime contestation.
Il n’y a plus de héros, les sites de légende sont des choses du passé.
Nous vivons cachés, laissant à quelques autres la direction de notre monde.
Plus que jamais nous aurions besoin d’un Pierre Rouzo!
Non qu’il n’ait eu d’énormes défauts…
Comme tous les personnages d’exception. Comme tous ceux qui ne s’adaptent pas au moule. Comme tous ceux qui se refusent au consensus mou. Ceux qui refusent la dictature de la pensée.
Salaud! Voici le pauvre Pierre affublé d’un énorme casque de poils aux armes du Canada sous le soleil de Claret. Un cadeau de ma part…
On a bien ri! Et mort aux cons!
Je me demande si Pierre connaissait le milieu de la voile et de la navigation de plaisance en France.
Moi, cette semaine, j’ai eu un cours accéléré : je reçois en effet le capitaine d’un voilier ayant participé à la traversée La Rochelle/Québec. Un beau voilier : un Amel Super Maramu 2000… Made in France.
Soupant au Yacht Club et discutant avec capitaines et équipages, j’ai vite compris que nos passions respectives sont identiques. Aucune différence…
Ce sont des maniaques et ils risquent leurs vies bien autrement que nous autres, pauvres falaisistes.
Mais bien sûr il y a le plaisancier moyen qui a autant de plaisir mais qui ne circule qu’en vue des côtes de Bretagne. Il y a les gens qui possèdent un petit cinq mètres et qui ne sortent du port que pour aller à la bouée la plus proche. Il y a ceux qui ne font que passer la journée sur leur youyou à voile.
Mais tous ces gens sont des plaisanciers.
Ils font construire marinas et structures permanentes. Ils ont une visibilité évidente et une aura de respectabilité qui les précède. Ils réussissent à faire vivre commerces et parfois villages. On parle de leur sport – sous toutes ses formes – dans les différents médias. Ils sont capables d’influencer les décideurs, capables d’un lobbying efficace.
Ils ont une presse et des magazines, des émissions de radio et de télévision, une littérature courue. Une vie intellectuelle stimulante et diverse pour qui s’y intéresse.
Ils arrivent à pérenniser leur activité même si, au premier abord, elle peut sembler élitiste.
D’accord… elle est élitiste!
Pour faire de la voile, de la plaisance, il faut de l’argent. Un peu d’argent, beaucoup d’argent, mais un minimum si on veut acheter une embarcation. Il y a un investissement.
C’est peut être ça, notre problème : nous n’avons pas d’investissement outre la corde et le harnais, les piolets et les crampons.
On n’a rien à perdre au point de vue personnel donc à quoi bon se botter le derrière? Si ça ne marche pas ici, ça va marcher ailleurs : on est libre, n’est-ce pas?
Sauf que notre liberté est attaquée de toute part : écologistes, chasseurs, gouvernements de tous paliers. Propriétaires terriens aussi … et ils ont le droit d’être chez eux…
Nous pouvons encore effectuer une fuite vers l’avant, vers l’ailleurs, mais qu’en sera-t-il de nos enfants?
Et ne me parlez pas des instances fédératives… je suis pour de nouvelles façons de penser, pour l’abandon des paradigmes, pour le triomphe de l’imagination toujours renouvelée. Je suis pour les gagnants sachant très bien, de première main, que les vrais décideurs ne considèrent que les gagnants: un organisme qui vit cent fois la même saison est, aux yeux des hautes instances gouvernementales, une branche malade qu’on ne peut couper mais qu’on laisse volontiers s’étioler.
Nous n’investissons jamais, nous n’avons pas d’attaches, nous ne sommes pas partie prenante. Nous sommes, pour reprendre le vocabulaire marin, que des écumeurs!
Entre nous… si on prenait une partie des argents dépensés sur le volet compétitif et qu’on investissait dans quelques falaises cette année? Et l’année suivante? Et l’année d’après?? Un budget de réunions pour s’acheter une petite paroi… un étage de décideurs en moins pour se procurer un petit massif…
Et si on associait des entreprises hors du milieu à notre démarche?
Des entreprises locales qui se feraient sans doute une joie de verser quelques centaines d’Euros dans un fond d’acquisition.
Ce n’est pas utopique!
Ça se fait ailleurs… au Canada. Aux U.S.A.
Moins de centralisation, plus d’implication et surtout une recherche de visibilité.
Une diffusion de la passion.
Et la passion, c’est le pouvoir de faire rêver.
Est-ce que l’escalade fait encore rêver? Est-ce que la montagne fait encore rêver?
Ne serions-nous pas devenus plus blanc que blanc? Tellement blanc que nous en sommes stériles?
Les milieux stériles ne supportent pas la vie des Rouzo.
Et une vie sans des personnages comme le Rouzo, LZM, mes amis de la Main Blanche, les malades de Purgemag, Lulu, l’Alsace chevelue et tous les autres … et bien c’est une vie morne à mourir.
C’est la couleur qui nous attire tous : le blanc est la couleur du linceul !
Je crois qu’il faut penser différemment, immédiatement.
Il est grand temps d’investir dans notre futur.
Investir…
Je lève mon dernier verre de la soirée à Pierre Rouzo!
Salaud !!#@%