La montée des Pissenlits (par Jean-Pierre Banville)
Quelques heures sans pluie à travers l’été le plus arrosé de l’histoire de la météo provinciale et tout ce que je trouve à faire, c’est tondre le gazon, arracher les pissenlits et accomplir toutes les tâches connexes souhaitées par Gère Mène.
Qui est étendue dans la balançoire se transformant en lit que je lui ai achetée au printemps. Version moderne de Marc Antoine et Cléopâtre sauf que moi, je suis l’esclave de service… Marc Antoine, c’est le petit bizarre qui range en ce moment ses trouvailles archéologiques de la veille.
Revenons à mon gazon…
Quand je ne suis pas en train d’équiper une voie, on peut me trouver assis avec un livre entre les mains ou en train d’arracher manu militari les pissenlits qui poussent sur mon gazon. D’accord, je fais aussi la vaisselle et le lavage et je passe la balayeuse. Je brosserais bien le chat mais, quand je l’attrape, j’ai toujours une furieuse envie de trépanation pour enfin réussir à contempler le vide intersidéral qui lui sert de cervelle.
Donc j’arrache et j’arrache encore en utilisant des ciseaux à jardinage.
Notre bon gouvernement a interdit tous les herbicides et met sous clé une bonne partie des pesticides… mais demande à ce que les terrains soient scrupuleusement entretenus. Résultat : tout le monde s’en fout et suit l’exemple de nos dirigeants qui laissent la forêt boréale reprendre ses droits le long des autoroutes.
Une dépense en moins : de l’argent neuf qui peut ainsi être réinvesti dans les voyages et les comptes de dépenses de députés et de fonctionnaires! Dommage pour les automobilistes heurtant les chevreuils sortant des fourrés comme des balles.
Souvenez vous que le dollar américain est vert… comme l’était le dollar canadien avant qu’il ne vaille plus rien!
Donc il y a des pissenlits partout : une monoculture qui égale maintenant celle de la marijuana, notre principale exportation agricole vers les U.S.A.
Et moi, j’arrache sans compter ni le temps ni les efforts. J’aime décider par moi-même de ce qui poussera sur mon terrain.
Et puis j’aménage : une pierre là, deux ici, un sac de tourbe et trois de terre. Un drain agricole…
Tout le monde aménage son terrain comme il le désire, n’est-ce pas?
Si on ne le faisait pas, aussi bien vivre en forêt. La vraie forêt, celle où on se tord une cheville si on ne prend pas garde, celle où une branche morte nous tombe sur la tête sans prévenir, celle où les taillis cachent soit un ours, soit un petit cap de roche duquel on tombera. Celle des moustiques qui vous vident de la moitié de votre sang en trente minutes.
Si on veut que quelqu’un vienne prendre un verre dans la cour arrière, on lui évite d’avoir à enjamber les arbres morts, de sauter par-dessus les crevasses, de lutter contres des bêtes sauvages. Vrai?
Et si quelqu’un vient nous visiter et profiter de notre patio raisonnablement aménagé à notre goût, on espère qu’il va se comporter en être civilisé et ne pas renverser le contenu de son verre de rouge sur la nappe blanche. Et on espère que sa progéniture n’arrachera pas les fleurs ni ne se permettra de pisser dans le fond du jardin. N’est-ce pas?
Si des personnes n’aiment pas l’aménagement de la cour arrière, qui les empêche d’aller prendre un verre ailleurs? Qui les empêche d’aller se promener en plein bois?
Et, personnellement, si quelqu’un se permettait d’aller pisser dans le bac de marguerites de Gère Mène, je vous garantis qu’elle va sortir avec le rouleau à pâte en érable et que ça va faire dur dans la cabane!
Voilà donc l’argument majeur pour l’aménagement des sites d’escalade sportive et l’argument choc pour le respect de l’état de ces sites.
Si vous cochonnez, je vous expédie Gère Mène!
Et si vous êtes pas content de l’aménagement – fait par des bénévoles – tentez de faire mieux sur votre propre site ou exilez vous vers la forêt vierge la plus proche.
Ou venez sur certains de mes sites secrets : le dernier en liste… et bien le sommet est entièrement couvert d’herbe à puce – du sumac vénéneux – plante qui peut expédier bien du monde à l’hôpital. Devinez : je laisse la nature faire à sa guise, m’évitant ainsi d’avoir à me soucier des grimpeurs qui voudraient tenter de poser une moulinette (la plaie de la pratique grimpistique en cette province). Est-ce assez ‘’nature’’ à votre goût???
Je vais vous en dire plus sur ce petit site.
Mon copain Bob a cassé la seule et unique prise de départ d’une 7c/d .
Rien : lisse comme la fesse du dernier modèle de la Nice Climb Girl (allez voir ça!) !
Zéro : de part et d’autre, du grès lisse jusqu’à la prochaine voie.
Ma solution? Mon fidèle marteau et un petit tournevis plat.
Et même pas un remord malgré la fourmi qui descendait gaillardement la paroi, dégrimpant la 7c.
Remis à l’identique, la Crepitus!
Les J.O. commencent cette semaine – plus tôt commencés, plus tôt terminés – et sans doute allons nous voir et entendre les athlètes partageant des disciplines différentes dans la même piscine s’arracher les cheveux pour de minuscules points d’éthique.
Même chose pour les cyclistes : pourquoi les gars qui font de la route s’entendraient-ils avec ceux qui fond du tout terrain?
Vous allez me dire que ça n’arrive pas!
Non, c’est vrai…
Alors pourquoi ces tiraillements dans le milieu de la grimpe entre personnes pratiquant des disciplines connexes?
N’allez pas me dire qu’il manque de caillou… il y en a du caillou à pas savoir quoi en faire et nous en profiterions si seulement on accordait nos flûtes, si seulement on poussait dans la bonne direction.
Je suis pour les oiseaux, je suis pour les mousses, je suis pour la biodiversité, pour les reliques du passé. Mais je suis avant tout pour notre droit de grimper!
Justifiez-moi que les falaises ‘’biotopes’’ ne peuvent supporter la présence de cordées grimpant en terrain d’aventure!
Impossible, n’est-ce pas?
Alors pour quoi ne pas en faire la démonstration aux autorités compétentes?
Et finalement trouver à la fois un sujet digne à notre grogne et une façon de faire reconnaître notre pauvre milieu laissé pour compte depuis que la montagne est devenue ‘’assassine’’.
Ce sont des brides d’idées qui me passent par la tête, comme ça, entre deux corvées sur le terrain. Faut en profiter de cette cour arrière surtout que cette année, il pleut cinq jours sur sept. Et que le terrain peut être interdit en tout temps pour cause de fouilles archéologiques.
Le Bizarre me certifiait récemment que les Francs Maçons avaient sans doute caché une partie de la bibliothèque d’Alexandrie sous le pommier. Il s’apprêtait à creuser une tranchée exploratoire quand je l’ai attrapé…
‘’Alors, ce verre de thé glacé? Attends-tu qu’il gèle dehors pour avoir de la glace???’’
Bon… je dois y aller, je crois…