Incunable (par Jean-Pierre Banville)

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : J.Marc

Nous pouvons, sans l’ombre d’un doute, affirmer que la main qui tenait la plume était celle de Johannes Gensfleisch zum Gutenberg. Le récit apporte donc quelques précisions sur son passage à Strasbourg et sa vie en Alsace aux environs de 1436. Il est bien connu que Gutenberg eut, à cette époque, quelques démêlés avec une dame du nom d’Enneline à qui il avait promis le mariage.
Le site bucolique où l’action se déroule n’a pas été localisé avec précision mais certains experts penchent pour un lieu-dit ‘’Le Brotsch’’. Un chemin datant du haut Moyen Age serpente au pied de ce petit piton et on semble y reconnaître la topographie des lieux. D’autres études pourront aider à obtenir une confirmation.

Le texte intégral en version originale sera mis en ligne prochainement, accompagné de commentaires pertinents. Les parenthèses indiquent les passages perdus ou illisibles. Peut-être que l’utilisation du laser permettra d’en apprendre plus.
Pour le moment, voici la traduction :


(…………) sur la paille. Nous avons quitté la ferme tous les deux, espérant trouver rapidement le chemin de la ville. Notre retard sera difficile à expliquer aux parents d’Enneline. Qui croirait qu’un simple orage m’aura égaré, moi qui vit dans ces contrées depuis des années?
Qui croira que je me sois fait violence et que la belle Enneline ait dormi seule sur le tas de foin alors que je partageais le haut du poulailler avec les quelques volatiles de notre hôte?

Le sentier qu’on nous avait indiqué se divisa à quelques milliers de pas puis se divisa encore un peu plus loin. Je ne reconnaissais rien des environs. Une forêt sauvage où l’on peut faire de bien mauvaises rencontres surtout que je devais protéger cette tendre enfant. Dieu nous garde!

Après deux heures de marche sans rencontrer personne, je vis un petit massif rocheux - la Vierge veillait sur nous – sur la gauche. Je dis à Enneline de me suivre et nous cheminâmes quelques minutes pour atteindre enfin un rocher de mauvais grès.
Un genre de caverne peu profonde en formait la base. Des bergers avaient dû l’utiliser en des temps anciens car on voyait du charbon de bois et un genre d’enclos à moitié démoli.
Je n’avais qu’à monter au sommet pour tenter de voir le plus proche clocher et nous serions hors de danger.

Enneline me dit qu’elle avait faim. Il restait la moitié d’un gros pain noir dans ma besace et nous nous installâmes sous la voûte rocheuse où je m’empressai d’allumer un petit feu. La pluie recommença à tomber…

A cette époque, la grâce ne m’avait pas touché. Je travaillais encore à la fabrication de ces miroirs pour pèlerins, ceux qui permettaient de diriger vers eux la lumière venant des reliques! Quelle arnaque … mais comme je ne les forçais pas à m’en acheter…
Et puis il y avait ce petit commerce de taille de pierres précieuses. Étrange comment les pierres peuvent perdre du volume à la taille…
Je vous ai dit que je fais parti de la guilde des orfèvres? Ma pièce maîtresse fut cette technique de rognage des pièces d’or du royaume, vite imitée par la guilde des fraudeurs en tous genres…
Et cet autre petit commerce de location de chambres, sous les combles, dans le centre-ville de Strasbourg, qui amenait une belle clientèle ecclésiastique profitant in petto des charmes de strasbourgeoises mal mariées…

D’accord! D’accord! Je n’ai pas amené Enneline en pèlerinage… je pensais la séduire à la fin d’une longue journée de marche pendant que ses parents étaient en adoration durant vingt quatre heures consécutives face aux reliques de Saint Combien. On allait cueillir des herbes médicinales – que je liquide à grand profit chez une petite vieille qui fait des potions – et si ce n’avait été de cet orage, jamais je ne me serais perdu et j’aurais profité des globes que je voyais poindre sous son hérigaut!

J’allais avoir toute sa famille sur le dos maintenant. Pas le choix que de faire promesse de mariage avant la Naissance du Sauveur. Si c’est ça, aussi bien profiter à tout de suite des prérogatives du mariage. J’avais justement fait un petit miroir avec son nom gravé dessus : deux jours à repousser le cuivre pour faire apparaître ENNELINE et deux mains qui se joignent, un signe d’amour à vie. Ou du moins aussi longtemps que la nouveauté stimule encore les sens. Trois semaines d’amour??

Je fais apparaître un bout de saucisson de ma besace comme un de ces magiciens qui hantent les foires. La belle s’esclaffe.
Un bout de pain, une tranche de saucisson, un feu qui nous réchauffe et ma houppelande qui nous sert de couverture.
Enneline se colle contre moi et défait l’écharpe de coton fin que son oncle, chevalier teutonique, lui a fait parvenir des marches slaves. Ho,ho,ho… chaleur en la demeure…
Et puis il y eut ce coup de vent!
L’écharpe vola, tournoya longtemps et alla se loger au plafond, comme attirée par la chaleur de notre feu qui montait en volutes.
Je n’avais même pas à me retourner vers ma future et éphémère fiancée : je me devais de prouver ma virilité en grimpant jusqu’à l’écharpe pour lui rapporter comme un preux dans un tournoi.

J’ai retiré mes bottes pour ne garder que les bas de laine tricotés par ma mère, quinze ans auparavant. Rien de mieux que la laine sur le rocher!
Un vague chemin se faisait voir, tout fait de petites prises pour les mains, certaines se prenant de coté.
Un essai… quelques pieds.
Un autre essai… quelques pieds plus haut et j’avais la tête en bas.
Au cinquième essai, j’avais gagné un peu de hauteur et un peu de distance. Et surtout je ne m’étais pas cassé le dos en tombant.
Au huitième essai, je tenais à peine d’une main, maintenant mon corps en équilibre en poussant sur mon pied.
Au dixième essai, j’y étais presque!
Au onzième essai, une heure plus tard, le soleil se faisant bas, j’aperçus le toit d’une hutte plus loin dans la vallée.
Au treizième essai, je savais que je n’avais plus de force pour regrimper une autre fois… la seule option qui me restait était de me lancer de cette prise latérale et tenter de déloger le foulard avant de retomber avec un peu de chance sur ma houppelande. Sinon… je serais bon pour un pèlerinage chez Sainte Réparate en espérant qu’elle me ressoude les os!

UN. DEUX. TROIS.
Je poussai sur mes jambes comme un héron qui s’envole. Je devais avoir la grâce du héron, c’est sûr!
Mes doigts effleurèrent le tissu qui se détacha du toit et retomba beaucoup plus légèrement que moi. En fait, je suis tombé sur le dos, la tête sur ma besace, à quelques pouces d’une Enneline en admiration. L’écharpe vint se poser entre nous et j’en aurais été heureux si seulement j’avais pu respirer… j’étais comme une carpe sorti du vivier… incapable de retrouver mon souffle!

Du coup, Enneline se pencha vers moi et pressa ses lèvres contre les miennes pour souffler un peu d’air dans mes poumons.

Il n’en fallait pas plus!
J’arrachai hérigaut et chemisier pour découvrir des appâts dignes d’une Vierge à l’Enfant. Mes mains écorchées saisirent ces offrandes pendant que la divine créature m’arrachait mon pourpoint.
Pour tout dire, elle montrait beaucoup d’empressement pour une jeune vierge! Et des connaissances certaines dans l’anatomie du mâle médiéval… je me mis à douter du sérieux de toutes ces retraites fermées seule avec son confesseur…

Mais pas de temps pour l’introspection. Il faut battre le fer quand il est chaud. Grimper au plafond de cette caverne au péril de ma vie méritait récompense!
J’attrape Enneline de telle façon que toute ma besace se déverse sur la houppelande, je relève sa jupe et je la besogne de la plus belle manière. (………) puis je pousse (………) le saucisson était (………) des cris et elle saisit mon (………) je ne peux croire que cette petite (………) trois fois, et le confesseur lui (………) ses doigts sur l’orifice (………) enfin couchés sur le dos, nous étions tous les deux à fixer le voûte de la caverne après ce violent exercice qui avait duré tellement que le feu n’était plus que braises. Toutes ces lignes qui s’entrecroisent au plafond n’étaient qu’une illustration de la providence qui nous mène tous par divers chemins vers le sommet, l’extase du salut.

Je jetais des branchailles pour activer le brasier et réchauffer l’atmosphère et je me tournais vers Enneline. Elle se plaignit alors d’une vive douleur à la fesse droite. Naturellement, après tous ces débordements c’était un peu naturel.
Je lui dis de se lever pour que je puisse regarder le site de sa douleur.
Oui, même fatigué par mon ascension vers de nouveaux sommets, je ne pensais qu’à admirer les beautés de la création!

Mais quel ne fut pas me surprise…
Sur sa fesse droite, on voyait distinctement son nom, ‘’Enneline’’!!!
Un instant, je crus à un miracle mais mon esprit, habitué à bien des entourloupes, repris le dessus et je jetai un coup d’oeil sur notre couche.
Bien sûr!
Le miroir était là, face contre terre, et le nom de ma ( maintenant ) promise s’était transférée du cuivre repoussé vers la blanche peau de son petit derrière.
L’inverse était devenu clairement lisible.
Ce fut comme un rayon de lumière!
Je savais maintenant que je pouvais transférer rapidement des mots sur les fesses de toutes les femmes que je rencontrerais…

Bien entendu, je repris vite mes esprits car cette découverte n’avait pas que des avantages sur la couche. Il était possible de repousser du cuivre, d’y appliquer de l’encre et de presser la plaque sur du papier pour reproduire les paroles de chansons grivoises qui seraient reprises partout dans le royaume!
Ou bien faire des livres avec des sermons!
Ou bien distribuer des indulgences facilement reproductibles – et le Bon Dieu sait que j’en ai bien besoin!

Un rayon de lumière dans une caverne… si seulement le même rayon m’avait dit comment me débarrasser d’Enneline et de sa famille… mais vous verrez comment (………) et puis je passai sur (………) Raymonde qui avait un bassin (………) si cette technique était la bonne, je pourrai faire durer (………) enfin, on ne sait pas quels mouvements dans la caverne (………) enchaînements qui finissent par lasser mêmes les plus vigoureux.
De ces deux cavernes sont nées ce qu’on nomme maintenant l’imprimerie.