Du haut d'un nid de fourmis (par Jean-Pierre Banville)
Heureusement qu’il y existe quelques musées car moi et la bière tiède, c’est pas le grand amour. Passe encore pour les fish’n chips une fois ou deux mais une semaine?
Je n’y survivrai pas!
Naturellement, n’étant pas à la maison, je dois veiller à ce que rien ne manque.
Donc, ce soir, je suis passé chez Costco – un magasin vendant en gros – et je suis revenu avec 18 boites de papier mouchoirs, 48 rouleaux de papier de toilette, 12 rouleaux d’essuie-tout, 10 litres de savon à linge liquide et 50 kilos de litière pour chat. Et un petit paquet de pâtes au fromage pour demain midi…
Vous allez me dire que je suis viré sur le top! En ces temps de récession économique, je gaspille mon pécule sans vergogne et j’emmagasine des biens sans regarder plus loin que le bout de mon nez.
Ma liste d’achat fait sans doute croire à l’annonce d’une épidémie de choléra!
Et bien non, je ne suis pas fou! Ou si peu.
En ces temps troublés, je crois qu’il faut continuer à consommer si on en a les moyens. Le pire qui pourrait arriver, c’est la baisse notable de la consommation causant une diminution de la demande puis des pertes d’emplois. On entrerait alors dans une spirale qui n’a de fin que par une Dépression. Avec un grand D, la dépression.
Ne voulant pas vivre une Dépression, je stimule l’économie des entreprises papetières. Je ne sais trop pour la litière à chat mais comme on ne peut pas lui poser un bouchon, au chat, vaut mieux en acheter plus que moins.
Et dans le monde de l’escalade, où en est l’économie?
Je peux vous dire que plusieurs grimpeurs de haut niveau ont vu certains contrats de commandite s’envoler au début de l’année. Les budgets sont serrés. On va rationaliser, on va couper dans le gras, on va vivre maigre, on va se serrer la ceinture, on va retenir sa respiration, on va se croiser les doigts, on va gruger des parts de marché.
Vous voyez où je veux en venir…
Moi, je travaille depuis quelques années dans l’industrie manufacturière. Je n’en suis pas à ma première crise économique… la première était en 1975! On nous disait qu’il ne restait que dix années de réserve mondiale de pétrole … quelqu’un a menti, hein? Et pour les plus jeunes, le scandale des ‘’dot com’’; le crash des hautes technologies… vous vous souvenez?
Ainsi va l’économie!
Les fourmis thésaurisent, c’est bien connu. La Fontaine nous l’a prêché. Mais les fourmis vivent au ras du sol et n’ont aucune idée quant au gros fourmilier qui s’avance vers leur nid. Aucune vision à moyen ou à long terme.
Est-ce que les entreprises oeuvrant dans le milieu de la grimpe devraient se comporter comme les fourmis? Engranger le maximum de provision et couper les vivres aux pucerons?
Je ne suis pas convaincu.
Personne n’est encore à la rue. Les ventes se font plus lentes donc la première réaction est d’élaguer puis de chercher des parts de marché chez les concurrents.
Des parts du même marché, bien entendu!
Moi je suis le partisan d’une approche audacieuse en affaire. Bill Gates n’est pas devenu riche en étant timide. Jeff Bezos non plus. Ross Perot encore moins.
Il n’y a que l’audace pour se démarquer en temps de crise.
Depuis des décennies, tous les manufacturiers de matériel d’escalade et de montagne, des innovateurs tous autant qu’ils sont, vivent chacun dans sa fourmilière mais tous dans une grande éclaircie. Tout va bien : les pucerons viennent s’approvisionner et les parts de marché grimpent lentement au fil des acquisitions.
Hors de la clairière, il y a tout un monde.
Un monde rempli de pucerons qui aimeraient sans doute essayer les sports de montagne. Mais personne chez ces fabricants ne cherche à les intéresser : c’est le lot de la Fédération. Encore mieux, beaucoup de pucerons aimeraient des produits dérivés que pourraient fournir ces entreprises.
Hors de la clairière, il y a des marchés à prendre.
Hors de la clairière il y a des clients potentiels directs mais aussi des clients pour des produits à développer.
La première chose à faire, c’est de chercher à attirer les clients de notre marché immédiat comme l’a fait Henri Ford avec son Modèle T . Lui, n’a pas attendu les ‘’Touring Clubs’’ pour développer sa base de client : il l’a fait seul en alliant un marketing intelligent et une politique de prix agressive.
Ça se fait rapidement si on applique les bons leviers aux bons endroits.
La seconde chose à faire, c’est d’imiter Amazon en offrant une gamme de produits variés hors de son champ de spécialité immédiat. Facile d’attaquer le marché du travail sur corde ou celui de la sécurité au travail en hauteur. Mais il n’existe rien d’autre à l’horizon? Pas d’offres de service à l’international? Pas d’innovation dans le domaine médical, dans le domaine de l’outillage, dans le domaine de l’énergie? Pas de vêtements spécialisés? Tiens j’ai justement rencontré un Japonais la semaine dernière dont l’entreprise prenait de l’expansion dans les tissus ignifuges pour les pompiers et premiers intervenants alors que sa spécialisation première était la toile de lin! En voilà un qui a su monter au sommet de sa fourmilière et regarder la clairière voisine…
Je parle rarement du milieu commercial et manufacturier relié à la montagne. Mais en ces temps troublés, je ne peux que partager ma maigre expérience et les encourager à s’élever plus haut pour voir et saisir les opportunités.
Et, peut-être, travailler enfin au développement de la base, à ce bassin de grimpeurs qui seront leurs clients. Travailler, comme l’a fait Henri Ford, à augmenter le nombre de clients directs sans attendre l’aide de qui que ce soit.
Vaste programme! direz-vous…
Oui… mais nous ne sommes pas des fourmis!