Les «Orothérapeutes», ceux qui marchent devant…

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Albero Pierre

«Orothérapeutes» malgré eux, les professionnels de la Montagne se voient dans l’obligation de recontextualiser leur mission, dont la vocation, révèle un caractère curatif. Ils sont devenus prescripteurs d’une notion de «pédagogie de la réussite», qui place systématiquement l’individu, en reconquête de sa propre estime.

En terme de représentation, la communauté montagnarde affiche un répertoire de corporations professionnelles juxtaposées, qui sont à la fois, gardiennes du temple de la tradition, et de celui du modernisme. L’engagement moral dans leurs missions est de l’ordre de la dévotion, n’oublions pas que ces vocations résultent la plupart du temps d’un prolongement de la personnalité de chacun d’eux. Cette nomenclature montagnarde possède bien un dénominateur commun qui donne son plein sens à ces quotidiens quelques peu anomiques.
Je m’attacherai à identifier particulièrement la corporation des Guides et Accompagnateurs, ces «Passeurs de Montagne» à qui se doit la maîtrise et la transmissions de l’art du déplacement en montagne et l’interprétation des singularités de ce milieu. Se mouvoir dans l’espace montagnard, dans une sécurité relative ; justifie l’apprentissage d'un savoir-faire.
Ces “métiers passions”, sont avant tout, dépositaires de cette culture montagnarde. Leur mission est à valoriser auprés du grand public, afin d’en définir les contours et d’en démystifier le privilège qu’elle semble assurer à ces montagnards “jusqu’au boutistes”, qui ont choisi cette voie d’accomplissement.
A l’origine berger, chasseur, cristalier, passeur ou contrebandier, il devient, porteur, guide à cheval, guide à Pied, guide de sommet. La corporation évolue au grè des mutations sociètales, afin que le Guide se discipline et stabilise sa fonction.
Aujourd’hui les “Guides” ne sont plus des montagnards endémiques, l’image du” Guide-Paysan” autochtone est relayée par des profils de néo-montagnards de toutes origines géographiques et sociales.
Au début du XIX° siècle en résonnance avec l'avènement de l'Alpinisme et du Pyrénéisme la fonction de "Guide de Montagne" emerge et entame son processus de professionalisation.
Au service de cette tradition de l'effort, inhérente à la Montagne, les “Guides” transmettront ainsi quelques valeurs humaines fondamentales, dont nos sociétés modernes s'éloignent peu à peu. La Montagne est l'un des derniers carré de liberté dont ils sont les passeurs initiatiques.

«Tots temp pujar!» (Tout le temps, monter… en Occitan), serait l’aliénante devise de notre personnage, dont la destinée serait au service de cette pente qu’il pense maîtriser. Cette lutte incessante contre la gravité, façonne ces physiques singuliers : les longilignes se nouent, tel le «souquet» de vigne, les râblés débordent de puissantes curvilignes. Le «pompil» (mollet en occitan), se veine comme un avant-bras; il est le premier levier de cette mécanique du corps s’élevant dans un plan vertical : «Arquer» vers le haut…

L’essence première d’un professionnel de la Montagne serait cette quête permanente de matière pour nourrir sa connaissance du milieu et en améliorer sa perception. Cette collecte d’informations (articles, publications, bibliographie, rencontres, échanges…) permet un réajustement de sa pratique, pour une transmission toujours plus didactique. “Pyrénéologues” par nature, cette stimulation continuelle au caractère introspectif, est necessaire à leur crédibilité professionnelle. En posture de l’eternel étudiant en “Fac Montagne” le contenu de leurs argumentaires s’épaissit pour mieux définir l’essentiel à communiquer. La transversalité des thématiques est souvent dictée et inspirée par la nature du terrain et son potentiel.

Ces professions composent avec la plus versatile des variables d’ajustement : le facteur humain. L’individu se révèle quand il est poussé dans ses retranchements et qu’il n’a pas le choix que de renoncer à sa condition d’appartenance.

L'approche socio-anthropologique nous révèle que l’usager de la Montagne, est en quête permanente de rupture avec son quotidien afin de ménager sa santé mentale et d’engager sa personne, dans un modèle de pensée vertueux. La pratique de la montagne procure une forme d'élévation spirituelle et implique une forme d'apologie de la lenteur diamétralement opposé aux rythmes de nos sociétés. C'est par l'intermédiaire du montagnard professionnel, que le pratiquant va reconquérir sa place d’invité temporaire de la Montagne, accomplissant ce rite initiatique informel, éloigné de notre pensée collective contemporaine.

Principale substance des activités montagnarde, la «Marche» reste un acte transversal et indissociable de ces professions. Elle est avant tout un réflexe archaïque élémentaire (chez le nourrisson) et un acte synonyme de l’évolution de l’espèce humaine (bipédie). Se rééduquer à la «Marche» est un combat lourd de sens et une reconquête pour celui qui en a perdu l’usage (handicapés moteurs, accidentés). Certaines populations citadines en rupture avec le milieu naturel, rejettent l’activité, synonyme dans le monde moderne, de régression sociale et de précarité matérielle. A l’inverse dans les modèles
de sociétés archaïques ou en voie de développement, «Marcher» est une nécessité quotidienne vitale pour l’urgence et la survie.
Initiatique et thérapeutique à la fois, la Montagne neutralise temporairement les conditions sociales et appartenances communautaires. Elle uniformise la pensée collective qui retrouve son état originel, celui de cette simplicité organique qui nous représente dans la biodiversité. Les chocs émotionnels de tout ordre qu’elle procure ont un pur effet curatif sur nos morales à tendances névrotiques. Redevenir «chasseur-cueilleur», régresser un bref instant, représenterait en somme un de ces rites de passages disparus de notre civilisation contemporaine. Être attentif et réactif à l’environnement qui s’offre ou fait pression, réajuste un ordre des choses dans lequel s’adapter prévaut prioritairement. Opportunisme, vénalité et convoitise, pathologies comportementales inconscientes de l’espèce humaine, s’effacent pour laisser place à des modes relationnels authentiques. La notion de « psychopompe » prend alors tout son sens, la montagne lançant son invitation temporaire à ses hôtes éphémères ; active cet effet transitionnel.
La Montagne assure cette fonction d’objet transitionnel et de point de fixation inaltérable. «L’Orothérapie», la montagne comme outil thérapeutique, dont l’effet secondaire majeur sera une probable addiction, est salutaire. «Orothérapeutes» malgré eux, les professionnels de la Montagne se voient dans l’obligation de recontextualiser leur mission, dont la vocation, révèle un caractère curatif. Ils sont devenus prescripteurs d’une notion de «pédagogie de la réussite», qui place systématiquement l’individu, en reconquête de sa propre estime. L’Orothérapie n’est pas un concept alternatif, marginal, qui «utopiquement» réhabilite tout ce qui nous fait défaut, c’est tout simplement une constatation, fruit de mon expérience. Ma certitude quant à ses effets curatifs, je la tiens de ces brefs instants pendant lesquels j’ai perçu cette plénitude envahir les personnes qui ont emboîté mon pas.
Ce néologisme n’est pas passé inaperçu auprès du corpus des psychologues et autres praticiens dédiés au bien-être, faisant lumière sur ses fondements, légitimant sa valeur thérapeutique. L’Orothérapie intègre les rangs de l’Ecothérapie et de son répertoire de disciplines associées (marche méditative, sylvothérapie, shinrin yoku, hortithérapie). Le terme existait sous une forme générique englobant à la fois le thermalisme, les vertus de l’altitude, l’héliothérapie.
«Le terme orothérapie est un néologisme introduit par Pierre Albero, accompagnateur en montagne depuis de nombreuses années. Il a pu arpenter différents terrains de montagnes avec divers publics pour en arriver à cette formulation. Un long parcours avec des publics en situation d'handicap, des personnes altérées dans leurs qualités d’être physique et/ou psychique. C’est de manière empirique qu’il a pu apprécier, valider et explorer cette dimension si précieuse insufflée par les montagnes, les vallées, les paysages… le vivant.» Charlotte Roura, psychologue, accompagnatrice en montagne, membre du collectif Psyris.