«Martyre» du GR10

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Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Albero Pierre

Le GR10 offre au randonneur un portrait de la chaîne dans sa plus grande diversité paysagère et culturelle. Sa popularité reste intimement liée à l’avènement de notre société des loisirs et sa monté en puissance. Cette fréquentation induit une accidentologie potentielle.

Georges Véron est une figure historique de la randonnée Pyrénéenne. Il inaugure en 1968 une traversée intégrale de la cordillère, utilisant les faiblesses topographiques des principales vallées de son versant Nord. En 1974, la trace est balisée et le premier topo-guide est édité. 55 étapes, soit 355h de marche, sont nécessaires afin de parcourir les 920 km et les 55 000 m de dénivelé positif et négatif, imposés par l’itinéraire. Le GR10 offre au randonneur un portrait de la chaîne dans sa plus grande diversité paysagère et culturelle. Le balisage rouge et blanc, dont l’abondance en assure la vocation pédagogique, invite le marcheur à pactiser avec les rudesses de la géomorphologie Pyrénéenne. La finalité de cette itinérance sera une rencontre avec lui-même. Au delà des apparences, franchir la Hourquette d’Ossoue à 2734 m enneigée, dans la fraîcheur matinale d’un début du mois de juin se révèle être un exercice de style Pyrénéiste. Celui-ci ne tolérant pas la défaillance comportementale et une vague appréciation des conditions de terrain.
Sa popularité reste intimement liée à l’avènement de notre société des loisirs et sa monté en puissance à l’aube des années quatre-vingt. Des lors, la randonnée s’affiche comme une sonde «socio-indicatrice», révélant les 20 millions de personnes qui la pratiquent occasionnellement, et les 3,5 millions régulièrement. Aujourd’hui, on estime que 5000 personnes arpentent le GR10 en version estivale, avalant, fractionnant ou combinant ses étapes.

Cette fréquentation induit une accidentologie potentielle. Les interventions des unités de secours font plutôt face aux détresses cardio-respiratoires et à une traumatologie d’ordre orthopédique. Les tragédies restent fort heureusement, une rareté.

Fin Septembre 2020, une conseillère municipale de la commune de Fos (Haute-Garonne) où je résidais, m’interpelle au sujet d’une famille actuellement au gîte d’étape, sans nouvelles d’un de ses membres depuis le 15 Août, engagé sur le GR10. Je fais connaissance de deux gaillards, la trentaine, leur tante et son mari, me justifiant solennellement, leur présence dans la haute vallée de la Garonne. Orléanais d’origine Thierry à l’aube de la soixantaine, arrive à Banyuls en covoiturage le 20 Juillet pour entamer sa traversée Est-Ouest, jusqu’à Luz Saint Sauveur. Son dernier contact téléphonique en date du 27 Juillet, aux confins de l’Ariège, laisse planer un doute sur sa probable disparition. Les pouvoirs publics en charge de sa recherche, confirment son absence sur la suite des étapes, à partir de cette zone des Pyrénées Centrales. Ses deux fils sont déterminés à reprendre l’investigation par leurs propres moyens, ils vont affréter un hélicoptère privé à leurs frais, afin de prospecter les zones probablement peu exploitées par les recherches officielles. Thierry a été aperçu entre Eylie, Melles et Fos, sa trace se perd à partir de ce tronçon. Le 30 Août, des nébulosités très denses enveloppent le massif, offrant une visibilité limité à moins de trente mètre. Deux personnes de nationalité belge effectuant la descente sur Fos, croise Thierry, semblant crouler sous le poids de son sac, ascensionnant péniblement vers son destin. Après avoir recoupé les données en notre possession, nous élaborons plusieurs scénarios se déroulant sur l’étape Fos-Artigues. Nous délimitons trois secteurs potentiels, à proximité du tracé du GR10, dont l’orographie serait fatale au marcheur qui se fourvoierait. Il est envisagé de recruter une caravane terrestre de montagnards locaux bénévoles, afin de soutenir la recherche aérienne conduite par la famille. Bergers, Pyrénéistes et professionnels, se joignent à la cause, et se rendent réactifs si nécessaire. Les conditions aérologiques et de visibilités sont favorables, au dessus de Bausen en val d’Aran, l’hélicoptère ratisse le versant Est du Pic de la Bacanère 2193 m, sommet frontalier sur lequel, le tracé du GR10 utilise sa croupe faîtière. Sa face orientale est un modèle dissuasif de l’orographie Pyrénéenne. Sur 600 m de dénivelé, elle développe un enchevêtrement de ressauts métamorphiques verticaux et végétalisés, structurés par un couloir monumental qui la partage en deux. Le toponyme de la zone «Angost» («Angoisse» en Aranais) justifie quelque peu, la tonalité du terrain. La machine stationnera plusieurs fois sous le sommet, au débouché du couloir, dans les barres rocheuses qui en défendent sa sortie sur l’arête. Je retrouve en début d’après-midi l’équipée familiale; franchissant la porte du gîte, l’émotion qu’affiche leurs visages est éloquente. Je remarque dans un coin de la terrasse un sac à dos volumineux, aux coloris vert camouflage, élimé et quelque peu délavé. J’écoute silencieusement le récit de leur quête fructueuse, dont ce sac à dos paternel, affiche le dénouement tragique. Ils me montrent des images, révélant des vires espacées de sections verticales, sur lesquelles on aperçoit posés, un chapeau, et en contre-bas une paire de bâtons de marche. Le pilote sous emprise d’une empathie non dissimulée, réalise une manœuvre technique, posant un patin dans la raideur de ce versant, et débarquant un des fils qui récupérera ce sac à dos, relique providentielle. Le scénario devient alors évident, les éléments se recoupant, donnent enfin une explication.

Une fois la crête frontalière atteinte, Thierry dans un état d’épuisement réel, perd le cheminement du sentier principal, suivant les multiples traces de brebis qui le font dévier vers l’Est. La physionomie du secteur ressemble à un réseau ferroviaire, œuvre des milliers de moutons, qui quotidiennement, marquent de leur passage des dizaines de traces anarchiques, au milieu desquelles se faufile le tracé du GR10. On peut aisément supposer qu’il n’a pas consulter sa carte afin de mieux appréhender la zone et ses contours, relevant d’une potentielle défaillance de sa part, en terme de prise de décision. La perte du balisage, la non-visibilité, et probablement sa non réactivité de circonstance, l’ont conduit vers ce point de non retour. Thierry, au vu des conditions de terrain et de météorologie, était déjà en détresse. La conclusion est sans appel, engagé sur les pentes sommitales du couloir et plombé par le poids de son sac, Thierry basculera dans celui-ci, laissant dans la chronologie de sa chute, les indices retrouvés.

Les secouristes espagnols prévenus par les autorités françaises, vont ratisser le couloirs et retrouver dans l’après-midi, des restes humains, validant le «script» de sa disparition. L’analyse génétique confirmera l’identité de Thierry.

En 2020, 47 personnes décéderont de manière traumatique (chute, glissade, chute de pierre, choc sur obstacle) en randonnée pédestre, tous massif confondus. Ce chiffre reste éloquent en terme de dangerosité potentielle de l’activité, il rappelle que, marcher en Montagne, sur des terrains variés, qui plus est, chargé d’un sac, ne peut s’improviser. Il s’avère que 47% des interventions du secours en Montagne en France, concerne la randonnée pédestre. Aussi, formation fédérale et encadrement professionnel, restent des valeurs sures en terme d’imprégnation et de transmission, concernant la relation du pratiquant aux supports de progression du milieu montagnard. De plus, la démographie vieillissante, l’art de vivre urbain, et la sédentarité, œuvrent de concert à façonner un public sensible à l’accidentologie.

Thierry demeure un «martyre» de la grande randonnée itinérante, nous confrontant à ce principe de réalité impartial imposé par la géographie montagnarde. Les secteurs exposés, côtoyés par des itinéraires pédestres, font l’objet d’une attention particulière en terme de balisage et de sécurisation des passages les plus problématiques. Seul le facteur humain, peut imposer une issue aléatoire.

Commentaires

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janic a year ago

Bonjour @Penjarot

Merci pour ce récit poignant !
Il pourrait faire l’objet d’un rapport d’accident sur la base SERAC, qui serait très utile à la communauté de par le déroulement des faits et l’analyse qui en découle.
Cordialement

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