Bêtes de cirque (par Jean-Pierre Banville)
En ces temps d’insécurité économique, j’ai décidé à injecter de l’argent neuf dans le système. Je me suis acheté un Timpone Kalama, un gros noserider de 10 pieds, une planche de surf avec laquelle je pourrai faire rigoler tous les phoques de l’Atlantique. Enfin, ceux que les chasseurs auront épargnés!
Il est dans le sous-sol et il me tarde d’aller l’essayer. Hélas, l’océan le plus proche est à six heures de route.
Vous savez maintenant pourquoi nous avons le triste record de suicides chez les blancs : peu d’escalade, pas de surf. On se jetterait à l’eau pour moins que ça!
Au moment où j’écris ces lignes, nous n’avons pas encore de cas de grippe porcine. Pour dire vrai, ce soir, j’ai vidé le stock de masques N95 de la pharmacie la plus proche. Demain, je vais faire la même chose avec celle un peu plus loin. Car quand la foule va se réveiller, les stocks vont disparaître en un instant et, dans ma famille, on est à l’hôpital aux deux jours. Et où pensez vous qu’on attrape des maladies?
A l’hôpital, bien entendu… Cuba possède un système de santé meilleur que le nôtre, c’est pas peu dire…
Donc, samedi, le noserider… et dimanche, une des plus belle journée d’escalade de ces dernières années. J’ai même trouvé une nouvelle voie à équiper! Ce sera pour samedi qui vient : mon matériel est déjà sur le palier de la porte.
Il faisait beau et chaud et les gestes revenaient comme par magie. A ce moment là, il me semblait que rien ne pouvait égaler le plaisir d’effleurer le rocher, le plaisir d’atteindre la chaîne. Devons-nous chercher le bonheur plus loin?
Dieu sait que les mois qui viennent de passer m’ont fait maudire le milieu de la grimpe plus d’une fois. Je m’étonne que certains n’aient pas la peste ou tout au moins les hémorroïdes tellement je les ai voués aux gémonies.
Non? Bon, attendez… l’année n’est pas terminée!
Je me suis tenu au courant de cette polémique des topos. Rockfax vs le Sud.
En fait, j’ai traduit les arguments du gars de Rockfax un soir pluvieux de la semaine dernière. Et vous savez quoi : je ne peux être contre!
J’ai, dans mon sous-sol, des topos de falaises japonaises. Je n’y comprends strictement rien et je ne les ai achetés que comme souvenir. J’ai aussi des topos slovaques, dans la langue du pays. Inutiles eux aussi car je ne parle pas slovaque. J’ai des topos italiens mais là, et bien je parle italien… mais pour mon fils, ils seront totalement inutiles. J’ai beaucoup de topos en anglais mais vous parlez anglais, vous?
Alors un topo anglais des plus belles voies des plus beaux sites du Sud, pourquoi pas?
Surtout s’il est bien fait!
Car les retombées économiques de l’escalade, c’est sur toute une région qu’elles se font sentir. Et je ne crois pas qu’on doive, en tant qu’équipeur, compter sur la vente d’un topo pour rembourser les frais encourus. C’est une affaire de passion. Je n’attends rien de personne et j’équipe au gré de mes finances. Qui me presse?
Un topo prouve au monde qu’on s’est investi dans une falaise et qu’elle nous appartient un peu. Je reconnais le bien fondé d’écrire le topo des voies qu’on a équipé mais je ne peux justifier le fait de garder le monopole dans toutes les langues… si un groupe de Chinois débarque, vous allez traduire? Deux marchés, deux topos.
A moins, bien entendu, de trouver la combine parfaite, le topo universel, celui qui plaira et sera informatif pour tous. Naturellement, si un topo vraiment bien était bilingue, ce serait super!
Hélas, la majorité des topos ne sont pas ‘’vraiment bien’’ sans doute parce que les auteurs sont pressés par le temps. Un topo vraiment bien, c’est comme celui des Vosges du Nord… et un topo vraiment très bien serait le même mais avec une traduction de base en anglais pour les touristes allemands et les autres.
Est-ce que l’argent des topos sert à l’équipement? Posons autrement la question : une falaise serait-elle équipée s’il n’y avait pas de topo par les équipeurs? Bien entendu… la réponse est claire! Les profits d’un topo peuvent être réinvestis ailleurs, sur un autre bout de caillou, et c’est très bien. Mais de là à croire qu’un rocher ne serait pas équipé…
Rockfax? Ils vendent des topos en Angleterre et l’argent des Anglais ne sert pas à l’équipement de voies en France? Bien … mais l’argent des visiteurs anglais se distribue dans toutes les communautés à proximité des falaises. C’est non négligeable! La solution serait sans doute de dire à monsieur Rockfax. :’’ Voici une nouvelle falaise vierge : voulez-vous aider à l’équipement par un don de matériel?’’
Je suis convaincu que le gars va être emballé et va accepter illico.
Il y en a des grimpeurs en Angleterre et il y a de l’argent disponible… crime… ils ne dépensent rien en plaquettes chez eux, les bougres! Certains iraient même jusqu’à venir l’équiper eux-mêmes selon l’éthique du Sud.
Trouvez une falaise à équiper et laissez la place à ces hérétiques! Eux aussi aiment les belles voies.
Sujet réglé!
Et devinez quoi? Je lis que nous avons un autre sport en branle. Je lis qu’une entreprise de matériel organise un SlackTrip!!!
Non mais on se croit au Cirque du Soleil, ma parole!
A quand les jongleurs? A quand les trapézistes? A quand les dompteurs de fauves?
Je n’irai pas jusqu’à mentionner les clowns, en ayant rencontrés pas mal ces derniers mois.
Est-ce que le ‘’slackline’’ est vraiment un sport attractif, passionnant, rassembleur?
Est-ce que le ‘’slackline’’ a quelque chose à voir avec la montagne outre l’utilisation d’une corde? On pend aussi avec une corde et ça ne fait pas de la pendaison un sport de montagne.
Sommes-nous en train de nous faire ‘’pousser’’ le slackline comme on nous a ‘’poussé’’ le dry-tooling?
Je suis entièrement d’accord sur le fait que marcher sur une corde raide est un acte qui demande une grande concentration et une certaine habileté. Le trapèze sans filet aussi. Tiens… entrer dans une cage avec des lions et des tigres adultes demande une bonne dose de courage, sans doute plus que de simplement marcher sur un fil. Allons-nous avoir le ‘’DressageTrip’’ dans quelques années sous prétexte que le fouet est en corde?
Où allons nous, je vous le demande?
Si, en tant que ‘’culture’’ – mais avons-nous une culture de la grimpe -, nous n’arrivons pas à cerner nos limites, et bien il y a un problème. Si certains, en manque de visibilité ou d’affirmation de leur existence, veulent se mettre en valeur, pourquoi ne pas le faire sur le caillou?
Si certains veulent vraiment jouer les trompe la mort, pourquoi aller plus loin que le solo? Je ne vois pas beaucoup d’émules de Paul Preuss, de Messner ou d’Alain Robert au pied des falaises…
Non que le ‘’slackline’’ ne puisse s’avérer amusant après le souper, autour d’une bouteille de vin, à 30cm de terre.
Tout comme le serait le Parkour ou le Freerunning comme activités alternatives.
Encore plus, si on veut ‘’pousser’’ un nouvelle pratique, il faudrait peut être en trouver une qui est attirante pour les gens hors du milieu de l’escalade. Encourager une pratique créant un microcosme à l’intérieur d’un milieu comme le nôtre, un tout petit marché, c’est contre productif. Faut penser aux gens ordinaires.
Il faut voir grand et attaquer de nouveaux marchés, attirer des gens vers les falaises!
Faites du Jumar Extrême ou du Parkour vertical.
Tiens : du pendule extrême… courir sur le rocher pour atteindre un point plus loin, plus haut. Du canyoning inverse, pourquoi pas? On remonte le courant…
De plus, un SlackTrip, ça sonne plutôt mal.
Ici , on slaque quelqu’un quand on le met à pied.
On slaque la vis quand on donne une permission à un enfant.
On slaque une claque quand on frappe quelqu’un.
Et les tripes slaques, là, c’est direction le bol de toilette.
Alors le SlackTrip, ici, c’est la diarrhée extrême!
Tellement drôle.
Je ne le répéterai pas assez souvent : l’escalade n’a que peu de visibilité, de médiatisation. Le slackline comme solution à une crise économique? Il y a de bien meilleurs moyens de faire parler de soi et de diffuser notre passion. Faire le contraire, c’est n’être que l’ombre de ce que nous voulons être.