Concerto pour le Vignemale
Ouverture:
Tout commença le mardi précédent.
J’étais en vacances et le temps était à l'orage dans les Pyrénées. Je m’étais donc rabattue sur des activités « ménagistiques et/ou autres ». Et cet après-midi là, j’avais décidé de le dédier à autres.
J’avais le cœur léger et le sourire aux lèvres lorsque je poussai la porte de chez Harmonia Mundi. Alexeï leva la tête et me regarda à travers ses petites lunettes en souriant :
« Bonjour Aurore. Tu vas bien ?
_Bonjour Alexeï. Oui, ça va très bien même si la météo n’est pas des meilleures cette semaine … Comment pourrais-je aller mal? J’ai passé un été de rêve en montagne et me voici chez toi … »
S’en suivit un dialogue sur la beauté des Pyrénées, sur les courses que j’avais faites. Enfin, ce ne fut pas vraiment un échange, puisque j’étais la seule à parler. Et lui, il m’écoutait simplement en souriant. La situation m'amusait. D'habitude, c'était moi qui buvais ses paroles mais là, pour une fois, les rôles étaient inversés. Pendant quelques minutes, je me trouvai à nouveau dans le cirque de Barroude ou au sommet du pic de Troumouse ... Ou de l'Aneto ... Emportée par la fièvre des montagnes et entraînant mon compagnon à ma suite. Puis la musique ambiante perça ma rêverie, dissipant les brumes du passé et arrêtant là ma course effrénée. Je décidai alors de passer aux choses sérieuses :
« _Bon … Tu as du nouveau pour moi ?
Il reprit un sourire énigmatique, un de ces sourires que je trouve tellement craquant chez un homme. C'était un vrai sourire, avec les lèvres et avec les yeux.
_Oh mais … Tu sais bien qu’il y a toujours des nouveautés chez nous. Tu es pressée ou tu as le temps ?
_Non non non, je peux rester tout l’après-midi ! Vas-y, passe-moi ce que tu veux, je te fais confiance. Cependant … J’ai comme des envies de Vivaldi. »
C’était venu comme ça, je ne sais pas bien d’où. Mais quelle importance ? Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Il faut les admettre et les prendre comme elles viennent.
Voilà donc comment je passai une après-midi de rêve, loin des sommets, dans une boutique pleine de musique, à me promener de baroque en fado, de Beethov en flamenco. En plus, il y eut peu d’autres clients cet après-midi là pour réaliser des intermèdes. Et enfin, je dois le reconnaître, la compagnie était loin d'être désagréable ...
Au milieu de ce temple de la musique le temps semblai ne pas avoir d'emprise. J'étais dans un cocon. Et mes poils se redressèrent une fois ... deux fois ... mille fois en une chaire de poule délicieusement accueillie. Et mon cœur s'accéléra et ralentit, palpita de plaisir et d’émotion, au rythme suivi par l'orchestre ou l'interprète. Je crois même avoir pleuré au moins une fois, submergée par la grâce de ces notes qui se succédaient.
Je repartis avec plusieurs disques, et le concert continua à domicile.
Je passai le reste de la semaine littéralement portée par Antonio.
Et il m’accompagnait encore le samedi, alors que nous quittions Pont d’Espagne et nous élevions toujours plus dans la vallée de Gaube …
Premier mouvement:
Ceux qui sont déjà venus dans le coin savent que Pont d’Espagne et la vallée de Gaube font partis des perles pyrénéennes, le statut de perle justifiant le business qui tourne autour semble t’il. Il faut dire que, la vue du lac de Gaube avec le Vignemale en fond est digne d’une carte postale. Ce jour-là, il y avait même une Dame aux camélias, pensive et contemplative, appuyée négligemment sur un rocher. Nous avons plaisanté quelque peu avec elle et elle nous sourit. C'était bon, si simple et tellement spontané. C'est le genre de petits riens de la vie qui me font toujours chaud au cœur et me poussent à croire en l'être humain.
En arrivant au refuge des Oulettes, je pris pleinement conscience de ma décision. Mon Dieu ! Cette face nord est vraiment imposante, je défis quiconque de me dire le contraire. Et je m’étais engagée à le seconder ? Et en grosses ? J’ai alors, je le reconnais, douté fortement. Oh ! L’envie était là, oui mais, j’étais vraiment très impressionnée par cette grande dame montagne. Alors, je pensai fortement à celui qui m’avait laissé partir et, en même temps, mon compagnon de cordée prit la mesure de mes sentiments. Cela ne faisait pas tout … Cela ne me monterait certainement pas là-haut … La clef (de sol?), je devrai la chercher en moi le lendemain, pour pouvoir jouer dans la bonne tonalité et sans fausse note. Mais cela me renforça dans ma décision et m’apaisa un instant.
Un passage rapide au refuge pour faire le plein d’eau, pour le dîner et le lendemain, nous apprit qu’il y aurait (au moins) 3 autres cordées avec nous. Fallait-il partir avant ou après eux? Grande question … Itinéraire inconnu pour tous les 2 alors, aller à la découverte ou se la jouer sécurité derrière les autres (dont un guide)?
Nous en discutions à la sortie, quand une fillette s’approcha de nous. Une dizaine d’années tout au plus et un air espiègle, elle se balançait en silence devant nous. Son père (probablement), assis un peu en arrière avec un groupe, nous confia:
«Elle meurt d’envie de savoir où vous allez …
Alors mon compagnon répondit, en prenant un air mystérieux:
_C’est un secret ... Mais si tu t’approches, je te le dirai au creux de l’oreille …
La fillette rougit et il rit.
_Nous allons dormir un peu plus haut, dans des sacs de couchage, et demain, nous monterons là-haut.»
Et il lui montra le sommet avec le doigt. Elle resta debout, interdite, les yeux fixés sur la paroi, avant de courir se réfugier derrière son père. Elle était impressionnée et on voyait bien que lui aussi. Je n’étais donc pas la seule …
Après quelques politesses, nous repartîmes pour trouver le bivouac.
C’était un abri sous roche dénommé Villa Meillon. Il se trouve presque au niveau de la moraine du glacier des Oulettes. Tout en avançant et cherchant, nous avons croisé de nombreuses marmottes aussi rondes que peu farouches. Voir ces grosses boules de poils à la tête sympathique était plaisant, rassurant, en contraste total avec la dureté du cadre. J’avançai dans ce chaos silencieux, silence entrecoupé par le fracas de divers éboulis et … par le Presto de l’été d’Antonio … L’orage grondait et les éléments se déchaînaient dans ce paysage lunaire. Curieux … La musique avait surgi de nulle part et me porta vers la Villa. L’adagio se fit le temps d’avaler un bol de soupe. Puis se fut l’entracte, alors que j'étais blottie bien au chaud dans mon duvet. Et enfin, je m’endormis en sol mineur et je rêvai de notes parfaites …
Deuxième mouvement:
Le réveil avait été réglé à 5h00. Nous avions décidé de partir tôt pour être, si possible, les premiers. Mais le sort en décida autrement puisque, ce ne fut pas une sonnerie revancharde mais les violons, qui me réveillèrent un peu avant 6h. Le morceau avait changé mais c’était toujours une composition du vénitien. Et, vous pouvez me croire, l’allegro d’un concerto grosso ça déménage suffisamment pour extirper la belle au bois dormant des bras de Morphée …
La lune était toujours là. Elle avait été pleine la veille. Elle était donc encore presque ronde, et si belle … L’obscurité s’était déjà en partie retiré, et la ligne de démarcation entre le ciel et la muraille tranchait, tout en réunissant harmonieusement la voûte céleste étoilée et les parois du massif. Elle était d’une pureté renversante cette ligne. Les mots me manquent pour la décrire. Et derrière nous, la face nord!
Elle nous avait observé toute la nuit et n’avait pas bougé, impassible. Je la fixai du regard avec respect, tout en avalant ma tasse de thé et alors que l’orchestre répondait aux solistes. J’étais au centre d’un tourbillon mélodieux. La musique était partout, irradiant, suintant des parois. Je me sentais bien, heureuse, dans mon élément et à ma place. Et alors, je me rendis compte que je désirai cette face … Je voulais la caresser avec mes mains, sentir son immense corps bouger au rythme de mes avancées, et vivre ce lien particulier entre elle, lui et moi. Ça allait être fort, je le pressentais …
Nous partîmes deux, mais par un prompt renfort … Ah non, mince, je me trompe d’histoire … Bref, nous partîmes en direction du glacier des Oulettes quelques minutes après 7h. La veille il y avait eu un gros éboulis, qui n’avait heureusement cassé qu’un bras dans une cordée de 12 personnes. Et, jusqu'au glacier d'abord, puis tout au long de la journée, de nombreuses dégringolades rythmèrent notre épopée musicale, comme pour me/nous rappeler qui dirigeait l’œuvre …
Le paysage lunaire se transforma peu à peu. Les pierres de grosse taille éparpillées un peu partout sur le plateau cédèrent la place à celles de la moraine, puis le glacier fut là.
Nous avions une paire de crampons et un piolet pour 2, pour limiter au maximum le poids de nos sacs déjà bien lourds. C’était une première pour moi, le mono-crampon! Le premier « ressaut », complètement sur la droite du glacier, ne posa pas de problème particulier, hormis un nième trou dans mon pauvre pantalon. La chose me navra un instant. Il faut dire qu’il y en avait déjà quelques uns, et que, celui-ci était assez volumineux pour créer une aération non désirée sur mes jambes de gazelle … Mais ce n'était rien, rien que du matériel.
La traversée du glacier pour rejoindre le départ de la voie, sur la gauche, fut une autre paire de manches. Je me rappelle être descendue dans une faille et avoir regardé le « mur » de sortie. Il devait bien faire 2m, 2m de neige dure et de glace. Et je n’avais, pour le franchir, qu’un crampon 10 pointes, 2 bâtons de marche et mes mains. Comme de bien entendu, un malheur n’arrivant jamais seul, l’onglée se pointa et m’attrapa. Après un essai infructueux, j’empoignai la glace à pleines mains et je réussis à passer. Mais à quel prix! Je ne les sentais plus. Puis les larmes dévalèrent mes joues quand le sang, accompagné de cette douleur exquise que je connais si bien, irrigua à nouveau mes doigts.
Je sortis de cette faille avec un désir et une volonté décuplés. Il fallait réussir et je m’en fis la promesse, plus déterminée que jamais.
Interlude :
Je suis chez moi, il est tard et j’écris. Je ferme les yeux de temps à autres pour revivre l’aventure et transmettre mon expérience.
Et je ne peux m’empêcher de sourire. Je me revois sortant de cette faille … Je suis de nouveau là-bas, avec comme une étincelle de désir au fond des yeux … Trouver les bons mots pour vous le communiquer et vous emmener danser avec moi n’est pas aisé. Je crois cependant que j’y arrive parfois.
Ah … Le pouvoir des mots !
Il semble que l’Aurore qui transparaît à travers mes écrits soit différente de celle que certains découvrent. Amusant … Je ne suis donc pas celle que mes doigts décrivent à travers mon clavier. Il y a notamment ce feu en moi, ce feu qui ne se voit pas mais se lit, c’est ainsi. J’imagine donc que, ce jour-là, mon compagnon ne vit rien d’autre que mes larmes de douleur et ma trombine sérieuse, ma bouille habituelle. Et pourtant …
Deuxième mouvement (reprise) :
La fin de la traversée du glacier fut plus aisée : Pas d’autre escalade sur glace en mono-crampon, juste des zig-zag entre les crevasses. Ce glacier, je l'avais rêvé à lire ou à entendre certains récits pyrénéens. Le problème, c'est que j'ai un imaginaire débordant ... Ou que je le découvrais avec moult années de retard. Et ce que mes pieds foulèrent ce jour-ci n'était qu'une langue glaciaire réduite à son (presque) strict minimum. Mais passons …
Après avoir traversé, nous nous dirigeâmes vers le haut. Nous étions devant la rimaye, au pied de la voie, un peu avant 10h. Rétrospectivement, il nous sembla que nous avions erré pendant un temps infini sur le glacier. Mais le chemin n’était pas évident et nous étions passés en sécurisant au maximum les passages clefs.
Il y avait du monde dans le départ original et du monde dans la variante de droite. En plus des cordées avec guide , 2 autres s’étaient rajoutées. Après un temps d’observation, temps qui me permit de contempler le couloir de Gaube rempli de caillasses et l'environnement général, il décida de partir à droite.
Troisième mouvement :
La décision prise, il ne fallait pas traîner. Il était 10h, il y avait 800m de voie et, mon compagnon commençait à le savoir, je ne suis pas des plus rapides étant donnés les astres sous lesquels je suis née. Il faut bien que ce soit la faute à quelque chose, non?, si je suis marmotte ascendant escargot.
Je savais que les premières longueurs, soit environ le tiers de la voie, étaient les plus difficiles avec des pas de V. Je me préparai donc psychologiquement (« Sois forte ma fille ») et j'observai minutieusement, d'abord la cordée qui partait à notre arrivée puis mon compagnon (« Les pieds, Aurore ! Regarde leurs pieds et pas leur c.. »). Ça n'avait pas l'air si dur. Bien.
Ce fut alors mon tour de m'élancer pour passer la rimaye puis grimper. J’étais la dernière de la procession du jour, mais qu’importe ! Le rocher était bon, effectivement, et je savourai cette entrée. J'étais ravie, le plat semblait à la hauteur de mes espérances et mon appétit ne paraissait, jusque là, pas démesuré. Bon, je vous « rassure » tout de suite, j'ai un peu déchanté quelques mètres plus haut, dans un passage légèrement déversant (« Moi j'aime pas trop les passages déversant »). Comment diable ces messieurs étaient-ils passés? J'essayai un truc ... Bof ... Non ... Je pris donc le temps de la réflexion et je regardai le passage. Puis, bizarrement, ma main trouva la bonne prise et la saisit. Ceci étant fait, mes pieds continuèrent leur chemin. Je grimpai donc.
Un peu plus haut, j’entendis un drôle d'oiseau bourdonner à mes oreilles. Je n'y prêtai guère attention. La chose devint plus curieuse lorsqu'elle se répéta une 2ème, puis une 3ème fois. Et, à entendre crier « cailloux » peu de temps avant, je compris que ces oiseaux-là étaient d'une espèce peu amicale et qu’il ne fallait pas trop désirer en voir de plus près. Je frémis mais continuai ma course, me concentrant sur l’essentiel.
Et alors, je sentis la Pique Longue réagir et s'émouvoir sous les assauts de mes prédécesseurs. Extase ou souffrance ? Aimait-elle être conquise ainsi par de virils assauts ou préférait-elle une approche plus douce … féminine? Fallait-il laisser mon yin ou mon yang me guider? C’est fou ce qui peut me traverser l’esprit parfois. Certain(e)s trouveront cela inadapté. Peut-être … Mais ceux-là sont-ils de ceux qui regardent, écoutent et ressentent la montagne qu’ils gravissent, ou viennent-ils seulement la posséder ? Pour moi, cette face nord, c’était un dialogue à 3: Elle, lui et moi . Je décidai finalement de suivre mon intuition, guidée? ... accompagnée? ... par un fond sonore baroque (encore) qui avait surgi de nulle part. Moment unique de contradiction délicieuse entre mon style de grimpe et la Bande Originale grandeur nature qui se jouait.
Le premier tiers passé, les longueurs devinrent un peu plus « faciles » techniquement, bien que la qualité du rocher se dégrada, et il décida donc d'accélérer un peu le rythme pour achever le mouvement allegro molto.
Il me fallu alterner bémols et dièses pour suivre le chef et rester en accord avec l'orchestre. J'arrivai à un des relais ruisselante, époumonée ... Comme si j'avais joué une danse endiablée avec le rocher. Lui était imperturbable et tout sourire, dans sa gamme, jouant avec maestria. Et il m'obligeait à faire dans le legato, un octave au-dessus de mes habitudes, et en ton majeur. Il fallait enchaîner les gestes, les uns après les autres, en avançant toujours plus vite, toujours plus haut, chose qui est loin d'être spontanée chez moi. Mais il avait un sens de l'orchestre et de la direction indéniable, et, à aucun moment, je ne dépassai mes possibilités.
Il y eut quelques pauses. C'est important les pauses pour lier l'ensemble. Les silences font partis du tout et il faut les respecter. Ils permettent de décider, ils permettent d'unir; ils me permirent de souffler.
La cordée qui nous précédait partit trop vite à gauche, bien avant le gendarme, et y laissa des plumes. Nous les dépassâmes peu avant l'arête intermédiaire et ils disparurent derrière.
Après le gendarme, nous étions repartis. Il y eut un peu de désescalade pour contourner un ressaut trop difficile (pour moi), puis un passage sur un joli et bon rocher noir. C'était agréable de sentir "vivre" la roche sous la caresse de mes mains. J'avais la sensation de percevoir le pouls de la montagne, quelque chose de lent, profond régulier et grave; quelque chose de bienveillant et enveloppant qui m'encourageait à poursuivre. Le dialogue entre nous continuait donc.
Nous étions sur la belle arête intermédiaire. Ah cette arête! ... Quel souvenir ! Nous passâmes une partie en corde tendue. Cette fois-là, il me laissa avancer à mon rythme (« parce que, mine de rien, tu avances ») et je savourai chacun de mes gestes. Ce fut fort et bon. Je m'élevai régulièrement: pied gauche ... pied droit ... main gauche ... main droite. Et ça déroulait ... Enfin selon moi ... Molto vivace aurais-je même dit!
Et le meilleur dans tout ça? C'est que les violoncelles continuaient à faire vibrer mon cœur ...
Final (ambiance torturée):
Comment vous dire? Je suis là, à revivre l'ascension, à me rappeler chaque pas, chaque frisson, chaque battement de cœur, mais je me rends bien compte que mon attitude est illusoire. La montagne, comme la vie, ça ne se pratique pas avec le cœur. Il faut rester froid et mettre de soi, et avancer sans faillir sur la voie tracée.
Sinon, c'est la fausse note, le couac. Et la fausse note, ça ne pardonne pas.
Il y avait d'abord ces drôles d'oiseaux qui me sifflaient régulièrement aux oreilles et brisaient l'harmonie de la suite. Il y eut ensuite, dans la sortie directe, ce rocher si mauvais que je ne savais où poser mes pieds et mes mains. Et puis, alors que j'étais bien concentrée, alors que toute mon attention n'était fixée que sur le rocher, il y eut la chute. Une chute, ça peut être fatal, ça peut briser des vies. Mais une chute, c'est aussi une libération après un ensemble de fausses notes. Ça met un accord final au morceau et après, tout est oublié et la paix revient.
Oh, bien sûr, ce fut une petite chute de pas grand chose, un pied qui dérape, une main qui part et ... la corde se tendit. La corde ... Ce lien si particulier qui me reliait à lui et à la vie. J'étais donc sauvée, pour cette fois. Mon erreur avait été effacée par la corde et tout allait pouvoir continuer. Jusqu'à quand? Jusqu'au bout ... Du moins l'espérai-je.
Comme les choses sont curieuses et peuvent bouleverser à distance! Je pleure à chaudes larmes alors que j'écris en pensant à ces fausses notes et à leurs conséquences. Je ne suis pas musicienne car, des erreurs j'en fais trop. Mais je joue avec mon cœur des morceaux pas toujours bien compris. Suis-je dans ce cas une « compositrice » ouvrant des variantes? Ou simplement une « directrice » avec une façon différente de mener l'orchestre et de lire la voie? Je ne sais pas.
Aujourd'hui, les fausses notes et les chutes me hantent. La souffrance, la violence et les pleurs m'ont envahi. Les violons lancent une plainte déchirante et nasillarde qui ont brisé le concerto et l'orchestre s'en trouve dissolu. Alors je vais me reprendre, et étudier mon solfège, grimper avec ma tête plus qu'avec mon cœur. Et je garderai au fond de moi cet éclat sublime qui m'a traversé au sommet du Vignemale, cette vague de joie qui a tout emporté sur son passage tel un Gloria de Requiem ou tel un tsunami détruisant tout ce qu'il touche ...
Final (bis) (ambiance plus sereine):
Comment vous dire? Alors que Mon(t) Canigou s'est paré de blanc et resplendit devant mes yeux amoureux, j'essaye de revivre les pas et de raviver les émotions de ce jour enfui, ce moment béni au Vignemale, et me voilà envahie par une douce sensation, la plus douce qui puisse exister. Est-ce cela le bonheur? Je ne sais pas, mais je m'y accroche fermement, comme un naufragé tenant sa bouée, pour faire face aux écueils de la vie.
Après l’arête intermédiaire, il y eut un nouveau passage engagé, deux gros virages en épingle à cheveux avec deux traversées "un peu péteuses" entre eux. Nous approchions la fin du parcours et la fatigue pointait, je le sentais. Je ne devais pas être la seule, puisqu'il raccourcit notre encordement.
Première traversée : Le problème, en plus de celui du rocher, c'est que nous étions sous la menace des cordées précédentes qui nous surplombaient. Mais ... Rien à signaler malgré la pluie de pierres qui dégringolaient autour de nous et nous sifflaient des atrocités aux oreilles. Arrivée à la fin de la ligne droite, je restai quelques minutes recueillie. L'ensemble que j'avais sous les yeux me ravissait: Un mélange de couleurs, de lignes, de courbes ... Le Vignemale, le Piton Carré ... Il aurait fallu être insensible pour résister à cela! Et je ne l'étais pas.
Après la deuxième traversée, nous arrivâmes à la jonction avec l'arête de Gaube, une des sorties possibles. Mais il partit tout droit et je suivis sans rien dire, préférant me concentrer sur l'escalade à dépenser de l'énergie dans du badinage inutile. Je me tendis intérieurement et me concentrai au maximum. J'étais sérieuse et grave. Cependant, il y eut alors la seule fausse note de toute la journée, il y eut ma chute.
Le passage était délicat. Le Vignemale restait fidèle à lui-même et, de surcroit, il y avait peu d'endroits pour protéger notre avancée. Il n'était pas très long ce passage. Pas très long, mais déversant. Je vous ai dit que je n'aime pas les passages déversants? Non? Ben voilà ... J'aime pas ça! Et là, à la sortie (ou presque) du Vignemale, mon pied (gauche?droit?) me lâcha, le traitre. Et je chutai. "Merde! Ai-je lâché".
Cela aurait pu être la catastrophe, la fin de mon concerto. Adieu veaux, vaches, cochons, couvée ... Mais la corde se tendit et la fausse note fut sans conséquence sur l’ensemble de la partition que nous avions joué.
Je finis par rejoindre mon compagnon et nous gravîmes les derniers mètres nous séparant de la cime. Là-haut, ce fut un ravissement sans fin. Le ciel était d'une rare pureté et la vue des sommets avoisinants me submergea d'émotions. J'étais dans l'oeil du cyclone, dans un tourbillon de bonheur. J’avais participé au morceau que nous avions joué et l’œuvre finale était grandiose, même ma fausse note ne l'avait pas brisé.
Mais les fausses notes et les chutes n'arrivent pas par hasard. Et là, à distance, je m'en rends bien compte ... Conclusion? Travailler encore et encore; explorer toujours plus les mélodies pour les exécuter avec dextérité et passion. Pour rebondir après la prochaine fausse note et obtenir l'accord parfait, celui qui transporte vers les cimes et vers la paix ...
Épilogue:
Nous restâmes bien peu au sommet. J'aurais tant aimé profiter plus ... de la vue ... de la satisfaction ... Mais il était tard et il nous fallait trouver un bivouac pour la nuit et de l'eau. Je pris congé du sommet avec comme un regret, tout en essayant de ne pas me laisser emporter par une nouvelle vague d'émotions, chose hautement probable étant donné mon potentiel contemplatif, si mes yeux se posaient, ne serait-ce qu'une minute, sur les alentours.
Ce fut difficile ... Peut-être même plus que l'ascension. Je me concentrai sur mes pieds et la descente. Je descendis sans un mot … J’étais encore sur un nuage en fait …
Nous étions en quête d'une des grottes de Russell. Nous voulions y dormir pour communier avec son esprit. Bon, il est vrai qu'il avait quelques petits côtés agaçants le Russell, son "héritage" anglais sans aucun doute, mais il ne faut cependant pas lui enlever ses mérites.
À l'entrée de celle située sous le sommet 2 fantômes, tout de blanc vêtus, nous abordèrent. Ils nous proposèrent de partager le "gîte", mais nous rejetâmes l'offre. Comment voulez-vous entrer en contact avec l'âme de ce grand pyrénéiste disparu avec 2 ronfleurs à nos côtés?
Nous rejoignîmes donc le glacier d'Ossoue puis, le col de lady Lyster, entre le pic central et le Cerbillona. Il y a là posés, plusieurs bivouacs improvisés, des cercles de pierre mystérieux ... issus d'une civilisation antérieure? Ou venant peut-être d'ailleurs?
Après avoir fait fondre de la neige du glacier, nous savourâmes une soupe bien méritée.
Il était 20h environ et, à l'ouest, le dieu Râ avait commencé sa course descendante. Cela dura 5mn ... 10mn ... Peut-être plus. J'aurais voulu que cela ne cesse jamais. Nous contemplions le spectacle, conscients de la solennité du moment. Et là, dans ce silence de cathédrale, s'éleva le son clair et flamboyant d'une guitare me rappelant les Leyendas de Asturias. Chaque nuance de rouge ou de jaune, de rose ou d'orangé me laissa une trace profonde, peut-être même indélébile, aux accents castillans. Devant nous se jouait une scène quotidienne mais chaque fois unique: la mort du jour derrière l'Ossau. Ah! l'Ossau ...
Il était 20h environ et, à l'ouest, le dieu Râ avait commencé sa course descendante. Cela dura 5mn ... 10mn ... Peut-être plus. J'aurais voulu que cela ne cesse jamais. Nous contemplions le spectacle, conscients de la solennité du moment. Et là, dans ce silence de cathédrale, s'éleva le son clair et flamboyant d'une guitare me rappelant las leyendas de Asturias. Chaque nuance de rouge ou de jaune, de rose ou d'orangé me laissa une trace profonde, peut-être même indélébile, aux accents castillans. Devant nous se jouait une scène quotidienne mais chaque fois unique: la mort du jour derrière l'Ossau. Ah! l'Ossau ...
Et alors que la beauté du tableau semblait culminer, alors qu'il semblait impossible de faire plus, la lune apparue à l'opposé. D'abord timide, malgré ses rondeurs, elle s'imposa de plus en plus. La lumière bascula. Celle du jour, étincelante et chaleureuse, quitta définitivement l'ouest pour laisser place, à l'est, à celle de la nuit, discrète et ensorcelante. Et la musique disparut ...
Bientôt, il n'y eut plus que la lune et son halo si envoûtant, le ciel d'une pureté immaculée, le froid et le silence de la nuit, et nous, deux corps moulus par l'effort, deux âmes en communion avec le milieu.
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Quelle musique sublime…!