Nuage et dévoilement.

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : collaboratif (CC by-sa)

Cette aventure se déroule sur les falaises du cirque de l’Infernet, dans l’élégante et escarpée contrée de Saint Guilhem le Désert.

Avec Thomas mon fidèle compagnon de cordée, nous partîmes pour escalader une ligne de près de 200 mètres en face S évoluant dans des niveaux de difficultés qui dépassaient tout ce que nous avions pu surmonter jusqu’alors. Par gain de commodité, nous nous accordâmes sur l’utilisation d’une longueur de corde suffisante lors de l’ascension mais qui à contrario n’autorisait aucune descente en rappels. Sans possibilité de réchappe, le challenge était complet.

La journée s’annonce des plus belles, les premières longueurs sont déjà bien difficiles mais ça grimpe ! Suspendus dans un vide de plus en plus grandissant, nous nous confrontons avec férocité à la résistance du caillou, l’éveil semble parfois atteindre son paroxysme. Les difficultés sont de mise et se traduisent en leur limite par plusieurs chutes toutes spectaculaires. Spectaculaires de part l’ampleur de certains vols qu’elles engendrent, dépassant la dizaine de mètres pour certains. Sortant laborieusement de l’avant dernière longueur, qui fût assurément la plus difficile de toutes, le suspens se dissipe déjà et nous nous sentons rassurés. Maintenant assis sur une vire herbeuse, perché à plus de quatre cents mètres du fond de la vallée, nous nous ragaillardissons à la vue de telles immensités et l’odeur des narcisses bouquées nous blottie dans un miel printanier.
Il nous reste donc seulement une courte longueur pour en finir. Mais subitement un effroyable craquement venu du ciel nous écrase, roulant son écho sur toutes les faces du cirque. Un énorme nuage aux allures de chou-fleur se dirige en effet droit sur nous. Tout va maintenant si vite ! De froides gouttelettes se font progressivement sentir. Thomas prend la tête, il n’est pas à mi voie que la pluie masque entièrement de son reflet la face rocheuse. L’image se prête à un cauchemar tellement l’ambiance est surréaliste. Dégoulinant je m’en vais rejoindre mon acolyte, l’eau ruissèle de toute part et s’infiltre jusque dans les recoins les plus frileux. Sensiblement du à la dépense déjà laissé, la pluie me semble glaciale. C’est vraiment la merde, m’apostrophe Thomas ! Malgré l’affolement tant extérieur qu’intérieur, on s’efforce d’ironiser notre sort, il serait effectivement difficile d’envisager pire situation. Or quelque chose m’alerte : le son des gouttes change et devient de plus en plus percutant. Même si nous avons grand peine à s’y résoudre, c’est maintenant belle et bien une incroyable averse de grêle qui s’abat sur nous en jouant des cliquetis de castagnettes sur nos casques. La face colée au caillou pour se protéger un peu, on est comme perdu dans le néant avec le chaos qui se déchaine au-dessus de nos têtes. Le spectacle des grêlons qui plongent dans un vide sans fin est d’une insoupçonnable beauté. Le temps passe, timidement nous commençons à être pris de torpeur. Que faire ? Malgré les ténèbres nous nous décidons à sortir coûte que coûte. Dans une dernière escalade, nous basculons sur le lapiaz pour enfin partir en courant tel deux oies sans tête dans l’espoir de trouver un abri mais à part quelques arbrisseaux il n’y a rien. Trempés jusqu’aux os, on se précipite vers le bas en se frayant au possible un chemin dans la végétation d’un sauvage canyon. Puis peu à peu le ciel s’ouvre. Nos pas ralentissent. Bientôt le soleil perce. Les tremblements s’estompent et l’apaisement s’insinue déjà en nous. Nous resterons silencieux pour un moment.

A notre retour, une terrasse s’est offerte à nous. Installés dès lors avec relâchement et suffisance, bière en main, nous étions emplis de ce bien être unique que l’on retrouve dans l’accomplissement de chaque nouveau projet.

Cette histoire n’est ni un rêve ni un cauchemar, c’est du vécu et j’en garde un intense souvenir qui n’implique pour moi ni encouragement ni renoncement. La seule leçon que j’en retire est que quoi que l’on entreprenne on ne sait jamais vraiment ce qui peut nous tomber sur la tête.

Commentaires

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ThomasR 14 years ago

Le ciel, apparemment.
Merci pour ton récit.