Récit d'avalanche, leçons à tirer (traduction)

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : collaboratif (CC by-sa)

Source : http://www.sierraavalanchecenter.org/node/3156

Type d'avalanche : décrochement de plaque
Déclenchement : skieur
Inclinaison de pente : 45 degrés
Orientation : NE
Altitude : 2670 m
Neige de surface : poudreuse
Sous-couche : poudreuse
Épaisseur couche supérieure : 30 cm
Largeur de l'avalanche : 30 m
Longueur de l'avalanche : 60 m
Terrain : étage alpin
Nombre de victimes : 1
Personnes partiellement ensevelies : 1

Détails

Un groupe de 5 skieurs descendaient Echo Peak, chacun leur tour. L'un deux, connaissant un peu ce type de terrain, décida de s'engager dans une partie de la combe où une brutale inclinaison de la pente au-dessus d'une barre rocheuse dominait un creux. L'avalanche a été déclenchée au passage du skieur sur une portion convexe où la pente s'incline jusqu'à 44 à 47 degrés. La plaque à vent a glissé sur une couche de poudreuse de faible densité, d'un peu moins de 4 cm, et contenant une petite quantité de neige "gobelet". La plaque présentait une épaisseur d'environ 15 cm près du point de déclenchement, et jusqu'à 50 cm en sa partie supérieure droite juste sous la ligne de crête. Le skieur a été emporté par-dessus la barre rocheuse puis enseveli sous la neige dans le creux de terrain. Il put malgré tout extraire une main au-dessus de la surface et dégager la neige couvrant ses voies respiratoires ; en dehors de cela, il lui était impossible de bouger. Les autres membres du groupe organisèrent les premiers secours : deux personnes restaient à l'abri sur la crête, et guidaient les deux autres, un par un, vers leur ami enseveli. Celui-ci fut repéré à vue grâce à sa main qui s'agitait au-dessus de la surface de l'avalanche ; le DVA fut inutile.

Vidéo no1 : Vue du skieur déclenchant l'avalanche, et secours par ses amis. L'échange de sac-à-dos et de DVA observé dans la vidéo est dû au fait que le groupe de 5 personnes ne possédait que 2 kits de recherche (DVA/pelle/sonde) ; or l'un des deux kits était porté par le skieur enseveli. En outre, l'ignorance des modalités d'utilisation du kit de recherche fit que la pelle fut utilisée sans son manche.

Vidéo no2 : Panorama des lieux filmé le lendemain, 30 déc 2012

Photo : Haut de la plaque et point de déclenchement, vus depuis la rive droite de la combe

Récit des personnes impliquées dans l'avalanche

Je suis conscient que notre groupe, impliqué dans l'accident du 29 décembre à Echo Peak, a fait de nombreuses erreurs. J'ai pris la décision de rendre publique, via le site de Sierra Avalanche Center, la vidéo prise depuis la caméra de casque pour que d'autres puissent apprendre de nos erreurs, et ne pas les répéter. En tant que leader du groupe, j'assume l'entière responsabilité de toutes les erreurs et veut ici rendre compte des enseignements que j'en retire.

Ma première erreur a été d'emmener en ski de randonnée un groupe de personnes inexpérimentées et sous-équipées. Chaque membre du groupe aurait dû porter sur lui un DVA, une pelle et une sonde, et aurait dû recevoir un entrainement aux recherches en avalanche. Nous ne possédions que deux kits complets pour nous cinq, l'un porté par la jeune femme qui apparaît sur la vidéo, l'autre par le skieur emporté par la plaque. Les trois autres membres du groupe, habitués aux pistes noires en station, n'avaient cependant aucune expérience du hors-piste. En tant que leader du groupe, je n'aurais jamais dû emmener ces personnes sur Echo Peak, mais je me suis laissé influencer dans ma décision par l'enthousiasme du groupe et la perspective d'une belle sortie. J'ai pris la mauvaise décision.

Ma deuxième erreur a été de succomber à l'enthousiasme de notre groupe plutôt que de réfléchir en responsabilité de décision. Deux des personnes inexpérimentées n'avaient jamais gravi Echo Peak. Les conditions de neige et les règles de sécurité auraient dû me conduire à faire demi-tour à la limite supérieure de la forêt et à redescendre le long de la ligne de crête. Mais je me suis laissé emporter par l'émotion du moment et j'ai autorisé le groupe à continuer au-dessus de la forêt, jusqu'au sommet. Cette décision nous obligeait à redescendre par la pente immédiatement derrière l'extrémité de l'arête. Je savais que cette pente pouvait être avalancheuse sous certaines conditions ; or je m'étais renseigné, et je savais que les conditions étaient réunies et que le risque était élevé. À nouveau, j'ai pris la mauvaise décision.

Nous sommes descendus à skis un par un vers une zone sûre dans les arbres, au niveau de la ligne de crête. Mais j'ai commis ma troisième erreur en choisissant de descendre un peu à gauche, dans le sens de la pente, de la ligne la plus sûre vers notre point de rencontre sous les arbres. La fille de notre groupe m'a dit qu'elle ne voulait pas que je descende à cet endroit, mais la passion a été la plus forte. L'opportunité de faire de beaux virages dans une pente de neige vierge à 45 degrés était trop tentante. Mon intention était de contourner par la gauche les grands rochers qui dominaient la combe, puis de traverser à droite pour retrouver le groupe sur l'arête. Je savais que la pente était convexe et qu'elle cachait une barre rocheuse en contrebas. J'ai pensé "Je l'ai déjà skiée, je connais, en quelques virages c'est plié." J'ai pris une très mauvaise décision. Je m'en suis sorti, mais je m'en veux beaucoup d'y être allé.

Quand la plaque a cédé, je n'ai rien pu faire. Tout ce que j'avais lu, entendu, et même discuté m'est passé par la tête : bats-toi pour rester en surface, nage comme si tu étais en dos crawlé, les pieds vers l'aval, pense à te créer une poche d'air dès que la coulée ralentit, pointe une main vers le ciel... Et puis, il faut pas se leurrer, c'est la neige qui contrôle tout. J'ai passé la barre rocheuse sur le dos, la tête la première. Heureusement, je ne me suis pas englouti dans le cratère creusé par l'impact, et c'est le reste de l'avalanche qui m'a enseveli quand elle a sauté la barre à son tour. En fait, j'ai rebondi au fond du cratère comme une poupée de chiffon, et je me suis retrouvé pas trop loin de la surface. Quand la coulée a ralenti, j'ai réussi à percer un trou avec le poing et à tendre la main vers le haut. Mais pour le reste, j'étais incapable de bouger. Tout était noir ; et là, d'un seul coup, j'ai paniqué. Peu à peu, j'ai réussi à me calmer, et j'ai dégagé mes voies respiratoires avec ma main libre. Et finalement, je ne pouvais rien faire d'autre qu'attendre. J'ai eu beaucoup de chance.

J'ai lu beaucoup de choses sur différents forum, sur la façon dont le skieur avec la caméra sur le casque a géré la recherche. Il s'est fait insulter pour avoir retiré ses gants, pour avoir dit à notre copine de prendre son temps pour lui passer son DVA, pour ne pas avoir placé le manche sur la pelle, et patati et patata. Mais je peux vous dire que je suis fier de la façon dont lui, totalement novice en matière de secours, a géré la situation. Il a compris que la fille paniquait, et qu'il fallait qu'elle garde son calme. Il a compris que tout le groupe ne devait pas descendre à l'endroit où j'étais enseveli. Il a laissé deux personnes sur la crête pour surveiller le départ de coulées résiduelles. Ensuite, il est descendu vers moi avec une autre personne, l'un après l'autre, en total contrôle. Après cet événement, on en a rediscuté, bien sûr, pour savoir ce qu'il aurait pu faire différemment. C'est évident, il aurait dû garder ses gants. En dehors de ça, il y a deux scénarios possibles. Premièrement : dès que le skieur à la veste noire a repéré mon gant au-dessus de la coulée, ils auraient dû laisser un DVA et une sonde sur l'arête ; ça aurait permis de lancer une recherche au cas où une deuxième avalanche emporterait les sauveteurs. Deuxièmement : si mon gant est repéré au-dessus de la coulée, mais que ma main n'est pas dedans, ils font quoi ? À 100 m, depuis le haut, c'était impossible à dire. Si le DVA et la sonde avaient été laissés sur l'arête, ça aurait généré un délai supplémentaire pour faire parvenir cet équipement vers le lieu possible d'ensevelissement, et envoyé un second skieur sur le trajet d'une deuxième coulée. Quant à l'erreur de la pelle sans manche, j'en assume l'entière responsabilité. J'aurais dû m'assurer - avant le départ - que chaque membre du groupe savait où se trouvait le matériel, et savait s'en servir. Pour finir, mon sauveteur n'a pas demandé l'aide de son second pour pelleter alors que ses mains commençaient à geler. Il aurait dû soit prendre le temps de mettre des gants sur ses mains mouillées, soit demander au skieur à la veste noire de continuer à creuser pendant qu'il se réchauffait les mains.

Je suis certain qu'il y a encore plein d'autres leçons à tirer de cette histoire. Et c'est pour cela que j'ai pris la décision de rendre publique la vidéo, via le Sierra Avalanche Center. Mon but était de recevoir une critique constructive, et peut-être d'amener les autres à réfléchir sur leurs décisions et sur le processus de raisonnement qui sous tend ces décisions. Je savais qu'on se ferait tirer dessus à boulets rouges pour nos erreurs, mais j'accepte, si cela peut aider d'autres personnes à rester en vie. J'espère aussi que la salve des insultes et des critiques ne découragera pas d'autres de rendre publiques leurs erreurs, de sorte que nous tous, la communauté des skieurs de randonnée, apprenions de chacun d'entre nous. Nous faisons tous des erreurs, certains plus que d'autres, c'est sûr ; mais nous faisons tous des erreurs. J'en ai vu des vidéos d'avalanche ; et à chaque fois je pensais "Quel imbécile !", "Comment il a pu faire ça, ce type ?", ou "Il y connait vraiment rien, ce mec !". Ouais... Ben, cette fois, l'imbécile c'était moi, le gars qui qui y connait rien c'était moi. Alors maintenant, ce que j'espère en partageant cette vidéo, c'est que la prochaine fois où les choses tournent mal, ce ne sera pas vous le gars qui y connait rien.

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