Brèves de refuge
Tête de l'Etron.
C'était en Suisse il y a plus de 20 ans. Lors d'un raid itinérant, nous avons eu une journée de mauvais temps, mais alors gros mauvais, même un ours ne serait pas passé.
Du coup, on est tous arrivés avec 1 jour de retard au refuge suivant, tous: les Allemands, les Espagnols avec qui ont avait sympathisé, mon pote et moi, d'autre Français, les Suisses, bref.
Les Espagnols se sont présentés au gardien. "Non, pour vous, pas de place, votre réservation c'était hier, il faut descendre".
Au tour des Suisses et des Allemands. "Ach ja, ein tag schlecht wetter, verstanden, kein problem !" et ils montent au dortoir.
On se présente: "Ah oui, il faut attendre".
Ah bon, on commande une omelette. Les Espagnols aussi.
Au bout d'une heure après l'omelette, on retourne voir le gardien. "Il faut attendre encore. "Je commence à lui expliquer que les ponts de neige chauffent, que si c'est l'option descente, j'aimerais le savoir clairement. Qu'attendons-nous donc ? "De savoir si d'autres Suisses montent".
Arrive un Espagnol. "Non, pour vous c'est descente!". "Warum ?" "Pas de place pour vous ici ce soir."
Alors l'Espagnol, au milieu de la salle commune, a baissé son froc et a posé son plus bel étron en plein milieu du passage.
Le gardien est arrivé furibard.
Je ne sais pas pourquoi avec mon pote on s'est interposés. Une sorte de réflexe communautaire.
On est partis en courant, on n'a jamais payé l'omelette.
On s'est encordé avec les Espagnols pour franchir les ponts de neige.
Et je n'ai toujours pas gravi le Mont Rose.
Cabane des Mischabel
Avec Lionel, on se dispute sur la terrasse du refuge. Des nuages masquent les sommets.
« - Je te dis que c’est celui-ci, la Lenzspitze !
-Mais non, bouffon, oriente ta carte c’est celui-là ! »
Le gardien arrive, goguenard :
« -Salut les p’tits Français, besoin d’aide ?
-Non, non, tout va bien.
-Allez, le Lenzspitz, c’est celui-là. Vous faites quelle voie demain ?
-Ben … la face Nord et la traversée vers le Nadelhorn.
-Sérieux, j’appelle des secours à quelle heure ? »
Là, on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon….
« -Non, parce-que quand on ne sait pas où on va … la Nord, c’est du sérieux, quand-même.
-Oui, mais bon, en Oisans on a déjà fait des courses comparables ! »
Regard incrédule.
Pas facile de passer pour un blaireau …
Après le repas, au moment de régler, le gardien insiste :
« -Toujours motivés pour la face N ? Demain beaucoup de cordées feront la traversée classique, vous savez, c’est aussi très beau !
-Bon, on se lève pour la face Nord, et à la rimaye on avisera.
-OK, OK, lever 3h alors. »
Le lendemain, course sans histoire, la face N est avalée et la traversée se passe sans anicroche, nous sommes la première cordée de retour à la cabane.
On s’installe sur la terrasse pour refaire le sac avant d’entamer l’interminable descente.
Arrive le gardien :
« -Vous prendrez quoi ?
-Merci, mais rien » (nous n’avons plus une thune).
Le gardien : « Si, aujourd’hui c’est moi qui régale, hier je me suis trompé, je ne pensais pas que vous seriez aussi rapides ! »
Et comme on avait soif, un a même eu une deuxième tournée de bières …
Cabane du Mountet
La traversée du Zinalrothorn n’en finit plus. Pourtant, jusqu’au sommet nous étions dans un horaire tout à fait correct. Mais au sommet j’ai eu un coup de barre, du genre qui vous scotche sur place. Peut-être paie-je l’enchaînement de la traversée Besso-Blanc de Moming effectué hier.
Du coup sur l’arête Nord, Lionel m’assure longueur après longueur. Nous somme très lents.
Nous arrivons au pied de l’arête au coucher du soleil. Alors surgit une nouvelle épreuve : comment retrouver la cabane du Mountet, dans la nuit, exténués ?
Inquiets, nous prenons la direction de l’éboulis géant qui nous sépare du refuge. Bientôt les frontales rejoignent le bonnet. Cette lueur blafarde nous suffira t’elle pour trouver la cabane ?
C’est alors que, comme un phare, une lumière s’allume au loin, puissante, insistante. Trébuchant sur les blocs nous nous dirigeons vers elle. Encore une heure nous est nécessaire pour l’atteindre.
Sur le perron la gardienne nous attend.
Elle nous fait rentrer dans la grande salle, 2 couverts sont mis.
« Asseyez-vous ! »
Pas le temps d’ôter nous chaussures ni même nos baudriers, une soupe chaud arrive dans nos assiettes, suivie d’un plat des plus copieux. Il est plus de minuit quand nous nous déséquipons enfin.
« Les dortoirs sont pleins, installez-vous sur ces matelas, dès que le premier dortoir se réveillera, vous pourrez y monter. »
Après la grasse mat’, nous refaisons nos sacs et passons voir la gardienne, pour régler le « supplément ».
« On sait ce que c’est de rentrer tard de montagne. C’est cadeau. Bonne descente ! »
Refuge de la Selle
Avec Emmanuel, nous nous mettons à table en ce dernier WE d’ouverture de septembre. Ce soir, il fait beau mais demain la météo n’est pas bonne.
Le couvert est dressé pour 4. Les gardiens viennent manger avec nous. Ils sont de mèche.
Il faut dire que je suis en mission spéciale : éloigner Emmanuel de sa maison en ce WE, sur ordre de sa maman. Le temps qu’avec sa petite équipe elle ait le temps de préparer une fête surprise pour ses 30 ans.
Alors, ce Râteau que nous n’avons jamais encore réussi, ça a suffit pour le faire tomber dans le piège. A table, c’est vanne sur vanne, mais Emmanuel ne se doute de rien. Le génépi et le coucher tardif lui semblent un peu inhabituels, mais il ne dit rien.
Le lendemain, dans la tempête, après avoir bataillé pour atteindre la brèche, et alors que nous ne somme plus séparés du sommet que par la partie neigeuse de l’arête, il nous faut faire demi-tour : il est tard ! C’est qu’il nous faut être à l’heure pour la fête.