Conte de Noël
Paljör vivait seul dans le petit monastère agrippé au flanc nord, toujours enneigé, de Chomolungma, plus haut sommet de la Terre, auquel les Occidentaux, au mépris de la culture locale, ont donné le nom d’Everest.
Le moine ermite consacrait l’essentiel de son temps à la prière et à la méditation.
Il se nourrissait chichement de thé, de fromage de lait de yak, de tsampa (des céréales crues, moulues et mélangées avec du lait, du thé ou de l’eau), et de chapatis (galettes de farine), denrées alimentaires que lui offraient les habitants des bourgs voisins en reconnaissance de la paix et de la tranquillité que ses prières valaient à la région.
Un soir, alors qu’à la lumière floue qui suit immédiatement le coucher du soleil, le moine se tenait assis devant le monastère isolé, un colossal migyu (également appelé yéti), animé des plus mauvaises intentions, s’approcha silencieusement du saint homme plongé dans ses pensées. [img=586585 right/]
La profonde sérénité qui émanait de toute la personne de Paljör accomplit l’inexplicable : le migyu fut sur-le-champ plongé dans un état singulier de grande docilité.
Lorsqu’il ouvrit les yeux et aperçut son visiteur, le moine lui tendit une tasse de chiya (thé que l’on sale et auquel on ajoute du beurre). Subjugué, le migyu avança une énorme main pour s’en saisir. Le récipient disparut dans la dextre du colosse, où il se brisa aussitôt en mille morceaux. Impassible, le lama lui présenta alors le pot de thé aux dimensions mieux adaptées à ses battoirs.
Pour la première fois de sa rude existence, le féroce migyu rencontrait un être qui ne s’enfuyait pas en hurlant de peur à sa vue.
Cette nouvelle expérience changea le cours de son destin.
Avec le temps, le migyu prit l’habitude de rendre visite au vieil ermite et de le ravitailler en bois, en eau fraîche et en viande.
Paljör, riche de valeurs fortes enseignant la tolérance et le respect des règles de la nature, acceptait les cadeaux de son sauvage compagnon sans s’inquiéter de leur provenance. En échange, il lui offrait la chaleur de l’amitié et de nombreux pots de chiya.
Ces deux êtres si différents pouvaient rester de longues heures assis côte à côte.
Bien qu’ils ne communiquassent que par le geste, d’une certaine façon, ils semblaient se comprendre.
Parfois, ils se mettaient en chemin pour d’interminables marches dans la montagne.
Leurs silhouettes, celle du lama appuyée sur une canne de bois, menue et vacillante, et celle du migyu, forte et assurée, formaient un duo saisissant.
Un jour, Paljör offrit à son ami le sauvage migyu une grande pièce de tissu de couleur identique à la robe qu’il portait.
En enroulant l’étoffe autour de son corps, le primitif homme des neiges s’en fit un vêtement.
Les mois, puis les années passèrent.
Le vigoureux migyu vêtu de pourpre continuait à approvisionner le moine devenu invalide avec le grand âge, à méditer en sa compagnie, et à partager ses randonnées qui étaient maintenant réduites à de courtes balades.
Les montagnards de la vallée, qui eux aussi poursuivaient leurs offrandes, se tenaient toujours à une très respectueuse distance du monastère. Ils ne s’étonnaient pas de la présence fréquente du migyu qui, de loin et sous son accoutrement, avait l’allure d’un homme de très forte stature.
« Le saint homme a un disciple maintenant », disaient-ils, heureux que la relève soit désormais assurée.
Un jour, c’était au début de la mousson d’hiver et d’importantes chutes de neige étaient déjà tombées sur la montagne, alors que Paljör et le migyu, le second supportant le premier arc-bouté sur sa canne, au cours de leur brève promenade quotidienne traversaient un petit couloir, une avalanche dévalant en grondant du haut du corridor les emporta.
Un paysan, monté du village de Raphu pour offrir des provisions, assista de très loin à la terrible scène.
Durant un temps qui lui parut interminable, un brouillard fait de particules de neige en suspension dans l’air masqua le lieu du drame.
Lorsque le rideau glacé se déchira enfin, il n’y avait plus sur le flanc de la montagne qu’un revêtement uniformément blanc et vide.
Le paysan, terrorisé, resta longtemps immobile. Soudain, il discerna un mouvement. De la couverture de neige s’extrayait lentement une silhouette vêtue de pourpre.
Le survivant se redressa et se mit à parcourir en tous sens le cône d’avalanche à la recherche de son compagnon. Il mit la main sur une sorte de bâton. Equipé de cet objet, qu’à intervalles réguliers il enfonçait dans la masse neigeuse, le rescapé poursuivit longtemps ses investigations.
Des heures et des heures passèrent, interminables, avant que la silhouette solitaire, s’appuyant sur ce qui semblait être une canne, prenne la direction du monastère. [img=586584 right/]
Depuis, sur la petite terrasse sise au front de l’ermitage agrippé aux rochers abrupts très haut sur la montagne, ne veille plus que le miraculé.
Lorsqu’il franchit le seuil de pierre très usé du cloître, il doit plier en deux sa haute taille et sa carrure emplit toute l’embrasure de la porte.
La paix et la tranquillité continuent à régner sur la région.
Marcel Maurice Demont
Commentaires

Très joli texte, merci Marcel !
Et bravo à Jane-Marie pour les magnifiques peintures !
Belle nouvelle année à vous !

[quote=« âlex, id: 1692437, post:2, topic:149573 »]Très joli texte, merci Marcel !
Et bravo à Jane-Marie pour les magnifiques peintures !
Belle nouvelle année à vous ![/quote]
Merci Alex. Tout de bon à toi aussi.
merci, la tolérance dans toute sa beauté, en ces temps de folie humaine…

Merci Chirvette.
Merci pour ce joli conte… très émouvant…

Merci à vous Gogen Yama Bushi.

Je viens de le découvrir, et j’adore !
Merci à toi.