Une journée hors du temps

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Patrick Prele

Tel le faisceau d’un grand phare, le soleil à peine sorti dans l’échancrure du col illuminait l’Ouille d’Arbéron et le haut du glacier d’’Arnès.

Derrière eux, Charbonnel resplendissait déjà de lumière et de chaleur.

L’immensité du cirque était empli du sourd vrombissement des eaux glaciaires, qui furibondes, courent dans le torrent d’Arnès.

Seul le crissement métallique de leurs crampons sur cette glace dure et cristalline indiquait une présence.

Eux, ils étaient encore dans l’ombre glaciale sous la pente du col, transis par les coulis d’air froid qui traversaient de l’Italie.

La laborieuse montée dans les éboulis les menait enfin dans l’éclat de l’astre du jour.

Laborieuse, c’est bien le mot ! La nature a mis dans cette satanée pente toutes les formes possibles et imaginables de gravas, cailloux, sables et autres gadins, juste pour les empêcher de venir trouver un peu de chaleur.

Suants et haletants, ils se régalèrent d’une pause bienfaisante et réparatrice au col d’Arnès face à l’imposante grande Ciam’ et la plaine du Pô, loin là bas en bas, déjà toute embrumée.

Enfin ils sortirent de cette torpeur, de cette résignation qui les a poussé à remonter une fois de plus ce long mais pénible vallon d’Arnès pour venir chercher leur récompense.

Ils échangèrent leurs premières paroles comme s’ils s’éveillaient au jour nouveau, à l’aventure qu’ils étaient venus chercher.

L’arête se précise, là haut, en haut des éboulis, la petite brèche et le petit pas d’escalade fin et aérien, ils seront sur cette petite terrasse où ils pourront s’équiper.

Face au soleil d’Italie, dos à l’ombre du glacier...

Voilà tout le programme. Juste jouer les funambules sur cette arête d’excellent rocher roux-brun, compact et solide, chaud et accueillant au soleil, glacial et repoussant au-dessus du glacier d’Arnès.

Tout harnachés qu’ils sont, ils traversent la première difficulté sans trop s’attarder dans ce mauvais couloir vertical et pourri au milieu d’un vide sidérant.

Et puis le cairn salvateur, maintenant ils vont s’adonner au plaisir d’une escalade facile et récréative, les fesses cinq cent mètres au-dessus du Lago de la Rossa aux eaux turquoises.

Les gestes s’enchaînent, faciles et déliés, expression du plaisir qu’ils prennent.

La sortie sur l’arête face au majestueux glacier d’Arnès ruisselant de soleil est leur récompense.

Anneaux à la main, deux ombres portées cheminent entre ciel et terre, un pied à l’ombre, l’autre au soleil, chevauchant cette roche accueillante caressée par les brumes italiennes qui parfois les enveloppe.

Le temps a disparu dans cette bulle d’espace, qui imperceptiblement change de tonalité au gré de la course du soleil.

Les restes d’une madone détruite par les intempéries, et puis la croix, fin du long chemin qu’ils sont venu chercher.

Sans prendre le temps d’une pause, ils attaquent la descente glaciaire.

La transition entre le rocher et le glacier, les crevasses, l’étincelante et brûlante blancheur de la neige est brutale.

S’en suit une longue marche pleine de tours et de détours au milieu de quelques immenses et profondes crevasses qu’ils n’avaient pas pris garde d’observer du haut de leur perchoir...

La fatigue aidant, le temps leur file entre les doigts comme le sable fin d’un sablier, la marche est cependant prudente mais régulière dans le labyrinthe des crevasses.

La course du soleil les guide maintenant dans la vallée, machinalement ils enjambent, contournent les monstrueux blocs écroulés de la gorge d’Arnès, avec en point de mire le refuge d’Avérole où Seb leur servira une bière fraîche.

-Hé ben les gars vous en avez mis du temps!
-Deux Pelfort Seb s'il te plait...
-Allez je te charrie, bien passé?
-ouai, superbe comme d'hab, tu sais bien...

Juste quelques mots simples apaisants avant de retrouver l’enivrante senteur de la forêt d’épicéa à la fin d’une chaude journée d’été alors que le soleil déjà bascule derrière la Pointe du Châtelard.