Crossey un jour entre midi et deux...
C’était en 1986, ça je m’en souviens. C’était après les congés d’été que bien entendu je n’avais pas eu !
J’étais jeune ingénieur tout juste embauché... alors j’ai passé le mois d’août à la boîte !
C’était entre midi et deux, ça aussi je m’en souviens aussi.
Un peu avant midi, Paul (c’était le directeur de production de l’usine) passe dans mon bureau...
-- Patrick, on y va, tu trouves Boum Boum !
Il n’y avait même pas à répondre, c’était une injonction.
J’appelle donc Gilles (Boum Boum) jeune informaticien de la boîte, (totalement azimuté le gars mais sympa comme tout).
Il arrive à la bourre sur le parking où la 205 turbo diesel de Paul s’impatiente, mais moins que le propriétaire qui "avoine" notre Boum Boum national.
Paul, il a la cinquantaine bien passée, nous, avec le Boum, on ne totalise pas 50 ans à nous deux.
Paul c’est un fort grimpeur. Ses copains ? Serge Coupé entre autres. Le Tobey et le gris à Chamechaude, les grandes voies du Vercors, la double brèche...
Voies qui nous font rêver mais que nous ferons dans quelques années...Mais ça on ne le sait pas encore.
Midi dix, au pas de course nous sommes au pied du "Cirque".
-- On s’encorde pas, Djin Tonic, Nain Foman et on termine par Temps Moderne, nous assène t il.
Paul nous montre, nous on essaye. Punaise en libre...Déversant...Patiné comme pas possible...
Le Boum s’en sort mais dans le surplomb de Temps Moderne, il galère. Moi je ne le sors pas...
Paul s’énerve, m’envoie un bout de corde.
Je me dis qu’il va m’assurer, je pose un mousqueton (les dégaines c’était tout nouveau) et voila qu’il attache la corde à l’arbre (qui n’existe plus, bien fait pour lui) au pied de la voie !
-- Tu sors ou tu pends toute l’après-midi !
Non mais j’y crois pas, le fourbe ! Bon, ben je l’ai sorti, j’allais pas griller toute l’après-midi sous le surplomb pendu qui plus est sans baudrier (parce qu’on grimpait à la dure nous ! Ah oui et en grosses...)
Retour au boulot, je tire la gueule à Paul, Le Boum se marre et fait le "cake"...
18h30, grosse journée de boulot, j’ai eu Paul toute l’après-midi sur le paletot. Quel emm...quand il s’y met celui-là.
-- Allez on y retourne, on se bouge, je vais chercher Gilles.
Non mais jamais il arrête ? Boum Boum bien sûr exulte, moi je n’ai pas du tout envie d’aller faire le saucisson dans les dalles.
18h40, Crossey, je ne sais pas comment il n’a pas mis la voiture sur le toit, le Paul !
18h45, Grande dalle, au pied de Dent Cassée, départ surplombant archi-lisse, patiné...Une horreur !
-- Bon en libre, on ne rentre pas tant que vous n’y êtes pas arrivés.
Bon ok, les jeunes ça doit le respect aux anciens, mais là...
Grand coup de gueule "du Paul", je pars.
La première partie, ça va, le surplomb passe bien, départ de la fissure, fin, fin, et le pas...
5b délicat expo qu’ils disent... Combien de temps j’y suis resté ? Très longtemps c’est sûr, à contrôler au mieux la tétanie qui paralyse, et puis je suis passé.
Pas dur en fait...Juste bien faire les trois pas, enchaîner vite, bien équilibrer et hop, l’arbre en haut !
Boum l’a passé aussi mais je ne sais plus comment...
Ainsi pendant un an ou un peu plus Paul nous a entraînés à la dure.
Quelque semaines après cette voie de 25m en 5b-5c en libre, avec Gilles nous irons faire la GDA dans la dent de Crolles, belle voie en 13 longueurs du 6a avec un pas horrible en 6b... Merci Paul !
Ce devait être en Septembre 2009. Le TGV nous ramenait de Paris avec Pascal, tout jeune commercial de la boîte.
Sur son smartphone, un collègue envoie le terrible message...
Pour tous ceux qui l’ont connu, Monsieur Paul est décédé cette nuit... Ça a "plombé" le reste du voyage....
Pour autant, je n’ai pas cessé de grimper à Crossey, je ne fais plus Djin Tonic ou la Dent cassée en libre, c’est sûr mais je ne m’en lasse pas de faire et refaire ces voies.
Sans "M." Paul aurais-je fait de l’escalade ? Je me pose vraiment la question !