Le métronome.

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Patrick Prele

Lorsqu’ils arrivèrent sur le plateau du col Lazard, une violente gifle du vent du sud les accueillit.

Une fois le nuage de poussière passé, ils purent de nouveau ouvrir les yeux, les écarquiller même, devant la beauté du paysage.

Les clapotis d’une eau bleue profonde, le vert tendre des alpages et le blanc étincelant du glacier de Saint Sorlin les récompensaient de la montée écrasante de chaleur.

Demain ils se délecteraient des ces paysages.

La nuit ne fut pas bonne. Le brouhaha incessant des pensionnaires du refuge, le monde, la chaleur…Ils ne se firent pas prier, tôt le matin, pour fuir cet endroit qui ne leur correspond pas.

A pas cadencés, sur les rives des lacs sans fond que la lumière de leur lampe frontale ne transperce pas, sous la voute scintillante de la voie lactée, ils avancent, ils mettent de la distance avec le monde des hommes.

Sans vraiment s’en rendre compte, au rythme de leur marche, ponctuée de courts échanges, les étoiles s’éteignent unes à unes pour laisser la place au jour naissant.

Ce n’est que sur le glacier que le grand incendie éclate derrière la Grande Casse, projetant ses jets d’ombres et de lumière d’or sur le grand désert blanc du glacier de Saint Sorlin. Alors seulement ils lèvent le regard vers l’horizon pour ne pas louper un instant de ce fugace spectacle.

Quand tout fut embrasé leur marche régulière et lente reprit. La démarche plus lourde trahissant l’usage des crampons sur le dos du monstre de glace endormi.

Insensiblement leur marche les conduisait vers le point le plus haut du bassin glaciaire, ce phare qui attire, le but de leur course, l’Etendard.

Malgré la présence d’autres cordées plus ou moins rapides, plus ou moins bruyantes, leur cap ne s’infléchissait pas, le rythme restait régulier, comme le toc-toc du métronome.

La corde, seul lien entre les deux alpinistes, se permit quelques excentricités en formant parfois des arabesques sous les brutales rafales de vent du sud, jusqu’à faire des nœuds. C’est ainsi que leur rythme régulier et lent, cette synchronisation presque parfaite de la marche, étaient rompus et ponctués d’expressions très explicites quant à l’énervement que provoquait cette satanée corde !

Puis ils reprenaient leur ascension dans le silence profond de la haute montagne, dans leur silence intérieur, au rythme régulier de leur marche.

Dans la raide pente sommitale, le rythme changea, plus lent, plus marqué, souligné par un souffle plus court. L’esprit est plus concentré, plus appliqué aussi.

C’est ainsi qu’ils sortirent sur l’arête sommitale, accueilli par une violente gifle du vent du sud.

Une fois le nuage de neige passé, ils purent de nouveau ouvrir les yeux, les écarquiller même, devant la beauté du paysage.