Envers et Endroit, Ombre et Soleil.
Envers et Endroit, Ombre et Soleil.
Les faisceaux des phares de la voiture balayaient le fond de la vallée. Le jour n’était pas encore levé quand ils arrivèrent. La dentelure acérées des aiguilles déchiquetées de la Grande Parée commençait à se découper sur un ciel aux éclats métalliques.
Le froid était mordant. Frigorifiés, chaudement emmitouflés ils chaussèrent leurs skis sans mots dire. Rapidement ils prirent une lente mais régulière cadence qui dans quelques instants les réchaufferait. La lumière coulait sur les pointes des plus hauts sommets. Alors seulement ils échangèrent de brèves paroles comme s’ils s’économisaient de tout effort supplémentaire.
Où cela passe-t-il ? Comment négocier les barres ? Par le couloir ? La goulotte peut-être ?
La montée régulière repris, chacun dans son rythme, chacun dans ses pensées. La pente se faisait de plus en plus raide, soutenue. Les skis malgré les couteaux accrochaient mal à cette neige compacte et gelée. Le hameau de Bonnenuit commençait à se faire tout petit vu depuis les longues pentes verglacées et fuyantes qu’ils remontaient depuis un bon moment.
À l’approche de rochers ils s’accordèrent une pause. Ils décidèrent de chausser les crampons et de continuer les skis sur le sac à dos. Le crissement des pointes aiguës était le seul bruit qui émanait de ce grand et raide versant toujours à l’ombre. Des coulis froids dégringolaient en cascade les couloirs qui les surplombaient alors que la chaude clarté du soleil éclaboussait de lumière les Aiguilles d’Arves.
La pente se redressait encore. Le piolet, les pointes avant des crampons faisaient merveille dans la petite goulotte qu’ils avaient décidés de remonter. Ainsi ils gagneraient du temps plutôt que de louvoyer dans une série larges de couloirs ou les pierres décrochées pas le dégel ricochaient entre les rives et dégringolaient à des vitesses folles avant de se planter avec un son mat dans le neige.
La sortie de la goulotte fut merveilleuse. Comme une claque, la lumière aveuglante du soleil déjà haut les accueillit. Le plus dur était fait. Ils étaient au plan des Moutons.
La vie semblait reprendre. Ils s’assirent sur une plaque d’herbe raz, jaunie par le long hiver, et s’accordèrent une longue pause réparatrice. L’effort avait été rude et soutenu, mais finalement plaisant. Ici haut perché, seul au monde, dans ce petit cirque secret, ils échangèrent leurs sensations dans une discussion animée, qui tenait plus d’une bruyante rigolade.
Est ce ce qui a fait détaler ce chamois ? Dans une course éperdue, laissant de belles traces dans le neige vierge, il bascula de l’autre côté du Pas de Sétaz Vieille dans ce qui semblait être un abîme infini. Cela mit fin à la rigolade et c’est à ski, suivant cette trace discrète qu’ils débouchèrent au col. En effet, sur l’autre versant, un gigantesque toboggan de six cents mètres plongeait dans la vallée de la Neuvachette.
Avant de se délecter de cette fabuleuse descente ils décidèrent de monter à la pointe de Sétaz Vieille juste au dessus, en traversant une pente raide ensoleillée. Là haut une plateforme rocheuse les accueillit pour un long moment de contemplation.
Une barre de nuage sombre bouche le fond de la vallée, le vent se lève. La clarté du soleil devient blanchâtre. Comme il était prévu le mauvais temps se précise. Il était donc temps pour eux de redescendre. Le col fut vite atteint. Maintenant ils allaient s’engager dans le couloir de Sétaz Vieille. Les premiers virages furent prudents afin d’évaluer la neige, l’adhésion de ces vingts centimètres de poudreuse sur le fond gelé.
Puis la confiance aidant, ils dévalèrent, dévorèrent la grande pente, de belles gerbe de neige légère jaillissaient à chaque virage. Trop rapidement, mais il en est toujours ainsi à ski, la belle descente se terminait aux bergeries des Plagnettes. Il ne restait plus qu’à se laisser glisser dans la longue vallée de Neuvachette, le regard perdu dans les hautes cimes, les profonds et alléchants couloirs plâtrés de neige qui la bordent.
Le vent fort maintenant, les rouleaux de nuages qui dérobent de l’Aiguille Noire, les poussent au plus vite dans la vallée chercher refuge avant la tempête de neige annoncée.