La Montagne initiatique et thérapeutique

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Albero Pierre

La reconquête de l’estime de soi ainsi que celle de l’empathie, ou triomphe des vertus thérapeutiques des valeurs montagnardes.

Dans le frimas automnal annonciateur de l’hivers d’un jour de Novembre 2011, j’encadre un groupe mixte de pré-adolescents d’origine magrébine, résidents d’une Maison d’Enfants à Caractère Social Toulousaine. L’objectif étant l’ascension d’un sommet facile d’accès et de fait présentant un contenu pédagogique des plus intéressant. Ces jeunes imprégnés de réflexes hyper-urbains sont dans le déni total de l’activité dès le départ du Col de Menté : «il faut marcher, ça monte, c’est mouillé et il fait froid, c’est nul ici il n’y a personne, que des arbres, de l’herbe et des cailloux…etc», bref tout est négatif, inutile et de surcroit les nuages crachent une fine pluie froide régulière qui plombe quelque peu l’ambiance. Je fais quelques tentatives pour expliquer le bien fondé et l’intérêt de leur séjour en montagne qui vont s’avérer systématiquement infructueuses. L’éducateur prend le relais et motive le groupe d’apprécier tout simplement le fait d’être loin de leur cadre institutionnel et que cette montagne qu’ils détestent de prime abord, représente une forme de liberté retrouvée temporairement. Tant bien que mal nous rejoignons la cabane par la piste pastorale, après avoir essuyé plusieurs refus d’avancer qui tournent parfois au psychodrame. La fragilité sous-jacente de ces « pitchons » s’affirmant face à la difficulté de faire ce choix d’avancer vers quelque chose qui ne représente rien pour eux. La découverte de la cabane de l’Escalette et de son abri providentiel est une surprise pour la plupart. Les questions fusent sur l’usage de ce refuge et sa vocation, il semble difficile de concevoir cette libre utilisation responsable et partagée du lieu. La pause réparatrice autorise à reprendre les négociations entre encadrants et usagers. Autour du feu que les jeunes ont voulu allumer se joue la suite des évènements. L’un d’eux décide d’aller chercher du bois dans le but de tenter les prolongations. La corvée devient prétexte à un élan collectif spontané. A l’extérieur les conditions de visibilité s’améliorent, les brumes s’évacuant révèlent enfin la profondeur du paysage et laisse entrevoir la cime défiante, toute givrée. Les garçons motivés par nos commentaires sur l’accessibilité du sommet, commencent à envisager de façon duelliste son ascension. Le groupe se redynamise autour de cet objectif potentiel et nous quittons enfin la cabane, en promettant de la retrouver une fois notre besogne accomplie. Sur le sentier, les semelles glissent sur le « gispet » et la boue, les « goujats » (garçons en Occitan) donnent la main aux filles dans les passages raides et gras. Le groupe se structure enfin et se révèle. A l’approche de la crête sommitale, un Gypaète Barbu nous fait une aubade suffisamment proche pour en apprécier ses dimensions généreuses et son plumage. Les jeunes, curieux de ce « grand planeur » me questionnent à son sujet. La curiosité naturaliste prend le pas sur leurs réticences et va donner un peu plus de sens à leur incursion en montagne. Le sommet atteint finalise l’harmonisation du groupe qui jubile de concert face au spectacle de cette puissante éternité de la chaîne. Apercevant notre point de départ 500 m plus bas, les jeunes réalisent le chemin parcouru et re signifient leur réussite par des cris victorieux. Consécration absolue, durant la descente, une harde de biches traverse les pelouses et nous offre une rencontre naturaliste privilégiée. La chaleur de la cabane retrouvée achèvera de repositionner positivement cette journée en Montagne comme une victoire éducative, nourrie d’émotion. La reconquête de l’estime de soi ainsi que celle de l’empathie, furent célébrer par l’équipe des éducateurs, témoins du triomphe des vertus thérapeutiques des valeurs montagnardes.

Les eaux troubles…
Prendre la mesure exacte de cette détresse propre à cette enfance sacrifiée par la défaillance des adultes, exacerbée par le séjour en institutions, reste une confrontation à haute teneur émotionnelle, souvent délicate. Le placement en structure spécialisée est l’unique alternative pour ces jeunes publics, protégés par l’état et qui, la plupart du temps associent des pathologies comportementales, adoptées en réponse à un vécu chaotique. Les problématiques personnelles vont favoriser un réflexe de violence systématique dans le mode relationnel. Ce phénomène est d’autant plus amplifié, lorsque le cadre de vie et l’environnement social, sont confinés. Printemps 2007, j’encadre un séjour multi-activités dans les Gorges du Tarn, pour le compte d’un prestataire Cévenol de sports de pleine nature. Ce groupe pluriethnique, composé de 6 jeunes présentant des troubles du comportement, et 3 éducateurs, originaires de la Seine Saint Denis, est une caricature des plus représentative. En effet la journée de randonnée sur les berges du Tarn, fut une longue série d’évènements conflictuels à l’encontre de nos exigences d’encadrant et la défiante provocation systématique des jeunes, en quête de limites : refus d’attacher ses lacets, de porter son sac à dos, de marcher, de ramasser ses déchets, jets de pierres incessants, insultes, bagarres, attitudes irrévérencieuses…etc. La seule phase de coopération, qui fut certainement l’unique victoire pédagogique, en termes d’apport de connaissance, ce fut lorsque je sorties de mon sac, un crane de Castor. Cette relique, je m’empresse de la mettre en relation avec tous ces indices de présences sur la berge, que j’avais tenté de pointer, captiva l’auditoire. La symbolique de cet ossement semblait sous tendre un reflet de l’existence, du devenir, peut-être de l’abandon…La baignade dans le Tarn, sous surveillance étroite, donna l’occasion au groupe de se libérer de cette tension relationnelle interne. Le point d’orgue de ce séjour resta notre randonnée verticale, dans le canyon sec de Montbrun. J’essuyais plusieurs refus violents et autres crises d’angoisse, au niveau de la tyrolienne, des mains courantes et des 3 rappels. Ces interminables négociations furent préjudiciables à la tenue de notre horaire. La perte de temps et de fait, la menace orageuse se précisant, m’obligea à littéralement « mouliner » comme des sacs, les plus récalcitrants. L’orage est sur nous en haut du dernier rappel de 22m, le groupe au pied de la verticale s’abrite sous un auvent rocheux et nous attend, le dernier et moi. Au regard de l’urgence de la situation et face à l’état de panique de mon jeune client, je le longe sur mon baudrier, et sans lui laisser le choix, je me mets en tension sur la corde pour le déséquilibrer afin de l’entraîner avec moi pour une descente d’urgence anthologique sous la pluie battante. Nous resterons une heure trente sous les surplombs avant que ne s’atténue l’orage. Le franchissement des dalles glissantes de l’échappatoire, acheva ces jeunes pré-ados aux abois, qui en plein état de fragilité régressif, reflet probable de leur carences affective, sucèrent leurs pouces, une fois le sentier regagné. Ces activités se sont déclinées en séquences éducatives, dans lesquelles l’enfant aura pu reconquérir une part de confiance en l’adulte (responsable de ses maux), par l’intermédiaire de cette confrontation avec eux même, dans un milieu qui prit un caractère hostile. Je tiens à rendre un hommage à tous ces travailleurs sociaux intègres et solides, engagés par vocation dans cette mission éducative au caractère philanthropique. Souvent malmenés par des cadres malveillants aux services de quelques « voyous de la république », qui sacrifient sans état d’âme aucun, l’encadrement salutaire de cette jeunesse dérivante, sur l’autel du mercantilisme et de l’impitoyable logique comptable.

Commentaires

Avatar
tigrane a month ago

Merci pour le partage, ça résonne. Bonne continuation et vive l’éduc pop :smiley: