Tras Montanha...
Le vivant migre, se propage, il comble un vide organique de façon systématique.
Pour le «montanhol» la notion de frontière politique ou militaire reste informelle et des plus relative.
La formule Occitane se traduit par «de l’autre côté de la Montagne…» et implique un déplacement géographique. «Tras» nous mène «derrière»; «au-delà», il nous déplace en des lieux méconnus, obéissant à un autre principe de réalité. Le montagnard assigné à résidence par l’autorité d’une géographie en sa défaveur, convoitera ces versants opposés, synonymes d’illusions et d’issue.
Le vivant migre, se propage, il comble un vide organique de façon systématique. L’aérologie favorise le peuplements végétal en déplaçant de façon aléatoire ses semences. La sauvagine en lien avec l’alternance des saisons et leurs profits, à recours à la migration altitudinale afin d’optimiser ses chances de survie, telles les transhumances spontanées estivales, des grands herbivores, aux temps où nous étions chasseurs-cueilleurs. Les périodes automnales annoncent les mouvements de franchissement des Pyrénées par l’avifaune migratrice, partant hiverner sous des latitudes plus clémentes.
La tradition Montagnarde de «l’Estive» ou de «l’Alpage», matérialise la migration agricole par excellence, mobilisant les communautés rurales d’en bas et d’en haut, de manière transversale.
Le Montagnard pratiquait un nomadisme agricole vers les plaines, en lien avec la saisonnalité d’un calendrier rural décalé de par la climatologie, et pour des besoins économiques évidents. Cette tradition de mouvement géographique favorisera les unions inter-communautaires, en contribuant au brassage des populations.
Le village de Boutx (Haut-Comminges) confronté à sa surpopulation, illustre un mouvement migratoire intra-Pyrénéen. Les Cadets de chaque «maisons» en quête d’avenir, et les contentieux relationnels entre habitants obligèrent à un déplacement et une installation sur le versant oriental du Col de Menté dans la Coume du Ger. Ainsi à partir du XI° siècle le village de Ger de Boutx et ses hameaux voient le jour.
Pour le «montanhol» la notion de frontière politique ou militaire reste informelle et des plus relative. Le libre mouvement des troupeaux sur les deux versants est une logique territoriale inaliénable. Sources et pâtures d’altitudes seront toujours échangées suivant les besoins et le bon vouloir des populations solidaires.
En réponse aux innombrables conflits diplomatiques entre France et Espagne, le Pyrénéen meurtri par l’histoire, va instaurer dès le début du XIV° siécle ce pouvoir populaire, que les historiens appellent «La Paix Pyrénéenne»: Les Lies et Passeries. Ces accords inter-valléens émanent d’une volonté montagnarde spontanée insaisissable par l’institution. Montjoies, Termes et Peyrehitte ou Peyreficade sont les témoins intemporels de ces limites territoriales définies par ce peuple Pyrénéen. Le traité du plan d’Arem à Fos, qui réunira 21 vallées transfrontalières en Avril 1513, est un exemple de mobilisation de la communauté montagnarde.
Saint Béat de par sa position géostratégique aux portes du Val d’Aran est baptisée la «Clé de France». En 1649, Louis XIV et Philippe IV entame un lent processus de fixation des limites nationales, qui ne sera définitif deux cent ans plus tard. Mazarin signe «le Traité des Pyrénées», qui prévoit principalement, l’échange du Val d’Aran contre le Roussillon et une partie de la Cerdagne. Cet accord va définir l’élaboration de la future frontière Franco-Espagnole.
La campagne d’abornement débute en 1853 pour s’achever en 1863. D’Ouest en Est; 602 bornes frontières sont posées sur la dorsale franco-hispanique. Cet évènement géopolitique majeur de l’histoire Pyrénéenne, restera anecdotique pour les populations locales. Elles poursuivront leurs libres mouvements transfrontaliers, sans changements aucun.
Les ténèbres du franquisme engendreront «la Rétirada», cet exode salutaire, officiellement reconnu entre 1936 et 1939, dura dans la réalité des faits jusqu’en 1975. C’est au sein des nouvelles cellules familiales hispaniques déracinées, que va s’orchestrer dans la gravité d’une discrétion de circonstance, durant 39 années, un franchissement des Pyrénées, devenues clandestines.
Le foisonnement de chemins de traverses, de sentes dérobées, de passades providentielles, offrira la liberté aux candidats à l’exil.
Fin Aout 1939 le Port de Vénasque, verra passer Francesc Tosquelles Llaraudo (francisé en François Tosquelles). Cet intellectuel Catalan, activiste du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), dont la tête mise à prix par les administrations franquistes et staliniennes, sera un activiste accompli au service de la II° république. Ce brillant médecin-psychiatre, une fois sur le sol Français, deviendra une éminence, en matière du traitement du traumatisme de guerre, dont les thérapies avant-gardistes seront fondées sur le principe de l’empathie et de l’écoute et une approche poétique de la folie.
Chaque année, le 15 Aout les vallées Pyrénéennes et Alpines fêtent leurs Guides de Montagne. A cette occasion, les jeunes montagnards professionnels invitent les anciens à partager la tradition.
Dans la vallée du Larboust, au-dessus de Bagnères de Luchon, vivait un vieux Guide, André. Chaque été, André attendait cette date pour retrouver ses vieux collègues et faire connaissance avec les jeunes générations. Quand il descendait de son village pour participer à la Fête des Guides, Il portait toujours sa vieille médaille de Guide avec une belle Gentiane (fleur de montagne) gravée, sa médaille de Moniteur de Ski numéro 317 (…aujourd’hui nous en sommes aux environs du numéro 18 000…), et une énorme médaille grise argentée, sur laquelle un drapeau des Etats-Unis et des inscriptions anglaises, étaient visibles.
La médaille d’André intriguait tout le monde. Alors André répondait aux questions de l’assemblée qui faisait silence, et commençait son récit ainsi:
«Pendant la deuxième Guerre Mondiale, j’étais Passeur. Durant cette sombre période, il fallait faire quelque chose pour résister à l’occupant. Alors nous, certains jeunes Guides, on s’est engagés dans la Résistance. Le fait de connaitre de nombreux itinéraires et sentiers dérobés dans la montagne, me permettait moi et mon groupe d’échapper à la surveillance des patrouilles Allemandes.
J’ai fait trente-deux passages entre 1942 et 1944. Nous marchions toujours la nuit, sans lampe, pour rester le plus discret possible. Un réseau de la Résistance de Toulouse amenait un groupe d’une dizaine de personne au point de départ: Ferrère en Barousse.
Dans les groupes il y’avait toujours une famille Juive, des aviateurs de la Royal Air Force (Armée de l’Air Britannique) et de l’US Air Force (Armée de l’air des Etats-Unis). L’itinéraire passait par Pradaus (près du Port de Balès) pour rallier le village de Mayrègne en vallée d’Oueil, où quelqu’un nous cachait dans une grange et nous ravitailler en nourriture. Ensuite nous passions par Saccourvielle, les Granges de Gouron pour aller se réfugier sur la montagne de Couradille dans une cabane, dans le secteur de l’Hospice de France.
Enfin nous franchissions la frontière Espagnole pas loin du Pas de Vilamos pour gagner le Val d’Aran, ou le groupe était pris en charge par un autre Passeur. Il nous fallait trois jours de marche à la fin de l’hivers quand les jours étaient plus courts, et quatre jours en été. Les familles n’étaient pas équipées pour marcher dans la montagne, souvent je portais des enfants, et les aviateurs, militaires entraînés, aidaient les plus faibles. La solidarité et l’entraide étaient obligatoires. J’ai eu beaucoup de chance durant ces passages, sauf la fois ou un bébé qui pleurait nous à empêcher de sortir de la cabane de Couradille, de peur d’être entendu par l’ennemi.
Quand il y’avait encore de la neige en altitude, les paysans sympathisants Espagnols et Français, faisaient passer la veille du passage, un troupeau de vaches ou de mulets, pour faire la trace dans la neige et nous faciliter la marche.
Une fois, dans le groupe il y’avait un jeune Capitaine de l’US Air Force, Chuck Yeager, qui s’était éjecter de son avion touché et cherchait à revenir en Angleterre pour reprendre le combat aux cotés des Alliés. Cet homme héros national dans son pays est devenu pilote d’essai. C’est lui qui testait les avions modernes et surtout les avions à réactions. Il devint l’homme le plus rapide du monde, en franchissant Mach 1 (la vitesse du son), en 1947. Il refusa de participer aux programmes de la conquête spatiale Américaine (Mercury et Apollo).
Il devint Général, et avait toujours cette idée en tête, celle de retrouver un jour ce jeune Passeur qui l’avait conduit dans la nuit Pyrénéenne, vers son destin.
Ce fut chose faite, un jour en 1972, je reçu une invitation de l’ambassade des Etats-Unis à Paris, où je fus reçu en «grandes pompes», par des diplomates Américains. L’un d’eux se présenta devant moi avec un «placard de médaille» sur la poitrine, c’était Chuck Yeager. Je crus reconnaitre son visage, parmi tous ceux que j’avais croisé durant ces passages. Nous nous primes dans les bras l’un l’autre, sans rien dire, en croisant juste nos regards, chargés de larmes d’émotions. Chuck me remit cette médaille au nom de l’Etat Américain, pour me remercier de mon engagement dans la lutte contre Hitler et le fascisme. »
Cette médaille, c’est celle des «Justes», ces belles personnes» à la noblesse d’âme infinie, telles Jeanne Rogale et Jean Bénazet dit «Piston», ces Ariégeois qui ont été reconnu par l’Etat Français, pour leurs actes anonymes, héroïques durant la seconde Guerre Mondiale.
Chuck Yeager est le personnage principal d’un film Américain «l’Etoffe des Héros» (The Right Stuff) sorti en 1984, qui raconte l’histoire de la conquête spatiale Américaine. Ce film a été récompensé aux Oscars.
De nos jours dans Le Briançonnais, à la frontière Italo-française, se trame une tragédie sourde, directement imputable au cynisme de nos gouvernances. Entre Montgenèvre, Névache et la vallée du Lautaret, la Montagne est le théâtre d’un drame humanitaire avéré, mettant en scène l’errance d’âmes en peine, victime de l’évènementiel géopolitique, fuyant la persécution, en quête d’une simple liberté légitime.
Pour faire face à l’indécence institutionnelle Française, laissant impunément des civils vulnérables, devenir de martyrs de notre Européanisme, l’élan empathique des montagnards Hauts Alpins, va générer un mouvement d’entraide, qui en 2015 va devenir une association d’indignés, se mobilisant contre l’indolence et la cruauté sociétale: «Tous Migrants». En Décembre 2017, afin de dénoncer cette régression du décisionnel politique, et la militarisation de la frontière, 300 personnes sympathisants de «Tous Migrants», ont formé une «Cordée Solidaire» au col de l’Echelle 1762m.
J’ai eu le privilège de rencontrer et de travailler avec la cofondatrice de cette association, Stéphanie Besson, Briançonnaise, Accompagnatrice en Montagne de son état, philanthrope notoire, et pourfendeuse de la bêtise humaine.
Ce personnage débordant d’humanité, s’est vu devenir porte-parole de ce mouvement, en produisant en 2020 un ouvrage «Trouver Refuge. Histoires vécues par-delà les frontières.», édité chez Glénat et préfacé par Edwy Plenel, ancien éditorialiste au quotidien «Le Monde» et fondateur de «MédiaPart».
Ce recueil de témoignages, révèle l’innocence des victimes de cette pathétique discrimination, fruit d’une pensée technocratique déshumanisée à l’extrême, reçoit en septembre 2021, à Venise, le Prix Littéraire Mario Rigoni Stern. Cette reconnaissance culturelle et intellectuelle, légitime la noblesse de l’engagement du collectif, mais aussi va mettre en lumière la malveillance étatique.
Comble de l’absurdité, Stéphanie s’est vu remettre la médaille des Droits de l’Homme en 2019, par notre gouvernement affichant son insoutenable incohérence, étant donné qu’il soit l'architecte de ces tragédies.
Afin de persister dans l’ubuesque et l’obscurantisme, notons cette notion du «délit de solidarité», révélant le machiavélisme et la démagogie de nos dirigeants décrédibilisés. A ce titre, les actes récurrents d’insoumission de Cédric Hérrou en vallée de la Roya, qui hébergea régulièrement des migrant naufragés, illustre le modernisme de notre barbarie, dans laquelle prévaut la non-assistance aux personnes en danger.
Je ne peux décemment citer l’Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, relatif au libre déplacement d’un individu où bon lui semble, tant la substance première de ce texte fondateur est devenue ambiguë, car corrompue par «Voyous de l’Etat» et autres «Malfrats de la République», nous conviant de faits, à la désobéissance civile.
Ouvririons-nous nos portes, si d’ici peu la tragédie nous rattrapait ? Cerdans, Couseranais, Commingeois, Bigourdans, Toys, Bearnais et Souletins, ont-ils gardé où diluer leur âme de «Justes»? l’introspection est douloureuse, n’est-ce pas…?
«Tras Montanhas, traparem un ostal barrada a claou?» (De l’autre côté de la Montagne, trouverons-nous une maison fermée à clé? En Occitan)...