Pyrénéiste : le « Quadrumane » contemplatif
Quand la pente se redresse, la « quadrumanie » prend spontanément un relais dans l’art du mouvement. Ce quadrumane de l’instant met en place une coordination de ses attributs locomoteurs, en faisant lecture des évènements géomorphologiques qu’il doit déchiffrer. Le point de départ de cette histoire du quadrumane Pyrénéen se situerait entre la fin d’un XVIII° siècle chaotique et un début de XIX° siècle hésitant.
Quand la pente se redresse, la « quadrumanie » prend spontanément un relais dans l’art du mouvement. Ce quadrumane de l’instant met en place une coordination de ses attributs locomoteurs, en faisant lecture des évènements géomorphologiques qu’il doit déchiffrer. Se mouvoir dans l’espace montagnard dans une sécurité relative, implique phases d’apprentissages combinées à un certain volume de pratique. Être autonome sur une corde, ou interpréter une information de terrain, serait en somme l’approche rudimentaire de notre « orophile contraint ». Se déplacer à l’amble avec ses quatre membres dans un plan horizontal, restent réflexes archaïques. Ces comportements régressifs spontanés, matérialisent ces réminiscences enfouis au plus profond de l’individu se remémorant, cet état primitif qui était le sien. La normativité sociale tendra à éconduire toutes manifestations de cette attitude réductrice pour notre espèce. Celle-ci affiche un aspect transgressif notoire, de par son caractère de « conduite à risque », toujours illégitime dans les usages sociaux. De plus, la notion d’élévation reste un privilège fondamental de la spiritualité religieuse ou de manière détournée, du prestige social. Le grimpeur s’affiche tel un jacobin, qui persiste à défier les codes de la moralité.
Le point de départ de cette histoire du quadrumane Pyrénéen se situerait entre la fin d’un XVIII° siècle chaotique et un début de XIX° siècle hésitant. Une infime partie de la communauté scientifique du Premier Empire vient prospecter la Cordillère Pyrénéenne, en quête d’éclairages géographiques et d’explorations naturalistes. La curiosité des plus audacieux, exacerbée par leur fascination pour ces territoires vierges, fera porter dorénavant, le regard vers les hauteurs. En étroite collaboration avec l’incontournable savoir-faire autochtone, les acteurs principaux de cette mouvance d’érudit battant les hautes terres, initient la pratique Pyrénéiste. Les précurseurs Louis Ramond de Carbonnières, Louis Cordier, les officiers géodésiens Peytier et Hossard, Vincent de Chaussenque, Toussaint Lézat et Alfred Tonnellé, ouvrent une première période dédiée à une exploration des grands ensembles géographiques de la dorsale Franco-Hispanique, en foulant les cimes du triumvirat Aragonais (1802 Mont Perdu, 1842 Aneto, 1856 Posets) et de ses subalternes (Ossau 1790, Vignemale 1792, Perdiguère 1817, Balaitous 1825, Marboré 1846, Néouvielle 1847, Forcanada 1858).
A la différence de l’école Alpine dans laquelle prévaut essentiellement la cause de l’exploit et de la performance physique, la notion de Pyrénéisme implique une perception émotionnelle et esthétique de l’environnement montagnard, au sein duquel l’homme en action, reconsidère sa place. Aux souffrances de l’effort, succède l’extase contemplative. L’Age d’Or Pyrénéiste succède à cette période classique, illustré par l’engagement de ses plus célèbres protagonistes. Russel, Schrader, Gourdon, Lebondidier, Wallon, Packe, Lequeutre et Béraldi, vont consacrer sa pratique en fixant définitivement son éthique : « Ascensionner, Sentir, Ecrire ». Fruit des soirées de cette « Pléiade » dans le salon de l’Hôtel des Voyageurs à Gavarnie, la Société Ramond voit le jour en 1865. Contemplation, action et érudition en convergence, sont reflet de l’âme pionnière de ses fondateurs et scellent le pacte Pyrénéiste.
En 1895, Henri Brulle le Girondin et Célestin Passet le Toy, offrent aux Pyrénées son premier quatrième degré officiel, en réussissant le passage de la dalle d’Allans sur le flanc nord du Pic Rouge de Pailla, rattrapant ainsi, le retard imposé par la référence Alpine depuis 1881 : la fissure Mummery au Grépon. Ce binôme infernal défraie depuis 1889 la chronique Pyrénéiste, en bousculant la vieille garde outrée par leur fougueux avant-gardisme. L’ascension du couloir de Gaube par l’impétueux duo, se produisant pour l’occasion, en quintet (Roger de Monts, Jean Bazillac et François Bernat-Salles), innove une période de modernité dans laquelle, technicité et engagement, se révèlent.
Le ton donné, des artistes de la géomorphologie, tel la fratrie Aspoise des Cadiers, emboitent le pas de ces visionnaires en inaugurant des traversées au long cours à cheval sur l’échine des géants Pyrénéens entre Anéto, Maupas, Posets, Munia, Mont Perdu, Vignemale et Balaitous, à l’occasion de deux campagnes aoutiennes en 1902 et 1903.
Cette dernière décennie du XIX° et la première du siècle suivant reste fondatrice en matière d’escalade. Entre Dresde, le Salève, Fontainebleau et Lake District, un canal historique œuvre pour singulariser l’activité et la marginaliser de l’Alpinisme. Durant les années 1910-1913, les conceptions antagonistes de deux personnages emblématiques de la discipline, fixeront codes et usages de la discipline. L’Autrichien Paul Preuss prône un engagement total en refusant le support matériel. L’Allemand Hans Dulfer fait l’apologie de l’aspect sécuritaire durant la progression. Le consensus entre ces deux approches va offrir une montée en puissance des niveaux de pratiques, confirmant le cinquième degré et laissant entrevoir la potentielle affirmation d’un sixième degré.
La bouillonnante jeunesse Pyrénéenne, frustrée par la réalité du premier conflit, rattrape son temps tragiquement égaré quelque-part, entre les Ardennes et la Meuse. Le Savoyard apatride Jean Arlaud reprend le flambeau Pyrénéiste en fondant en 1920, le Groupe Des Jeunes qui entame des explorations systématiques des excentricités géomorphologiques et autres ornements minéraux évidents des Pyrénées Centrales. En résonance avec la tragédie d’Ansabère en 1923 coutant la vie à Calamé et Carrive, la spéculation relative à la sécurité du grimpeur en action, revêt désormais, un caractère introspectif au sein des communautés. En 1927, la talentueuse cordée Cames-Sarthou répond judicieusement à cette problématique, en inaugurant un procédé archaïque d’escalade artificielle, offrant enfin succès à ses prescripteurs, toujours aux prises avec cette fratricide grande aiguille d’Ansabère.
Ce recours à un outil technique de circonstance, marque en somme, la probable résilience qui s’opère dans l’inconscient collectif de la gente grimpeuse. La « pensée géographique » prérequis fondateur, aura cédé la place à une « intelligence orographique », qui à l’aube des années trente, après maturation, prend la forme d’un « art de la verticalité », laissant entrevoir, perspectives nouvelles. Les défiances inconcevables des splendeurs minérales, à la raideur rébarbative, vont être des lors, envisageables.
Le grimpeur Pyrénéen affirme son caractère et écrit la suite de l’histoire de son art novateur. L’usage combiné d’un piton et d’un mousqueton, libère le geste en offrant de nouveaux terrains de prospection. A l’instar du génialissime « bleausard » Pierre Allain, concepteur du mousqueton en alliage et des premiers chaussons d’escalade, les Palois Robert Ollivier, Henry le Breton, Jean Santé, Marcel Jolly, Jean Senmartin, Henri Lamathe et François Cazalet se positionnent comme fins rochassiers, faisant résonner leurs nombreux succès, au-delà des murailles de l’Ossau. Le collectif Béarnais fondateur en 1933 du Groupe Pyrénéiste de Haute Montagne, s’adjuge quelques réalisations notables, confirme l’avènement du « cinquième degré » Pyrénéen, et finit de prolonger l’œuvre protéiforme d’Arlaud.
Les tentations prohibées d’antan prennent l’aspect de probables conceptions, Henri Barrio et Robert Bellocq se saisissent de ce champ des possibles, en sortant de la face Nord de la Pique Longue, l’été 1933. Sur les parois des Dolomites à la même période, Emilio Comici, Mathias Rébitsch et Tita Piaz « il diavolo », repoussent les limites de la performance technique et de fait imposent l’école « sestogradiste ».
L’indéfectible lien du grimpeur au rocher, laisse une empreinte indélébile sur ces andésites, granites et calcaires Pyrénéens, consignant le matérialisme historique de son aventure verticale. La « renfougne » de la fissure « Mummery » et les « entrechats » de la dalle d’Allans opposent des gestuelles dont la complémentarité va définir ce répertoire polymorphe de la gestuelle du grimpeur.
La cordillère Pyrénéenne entre 1938 et 1944 est le théâtre de mouvements transfrontaliers historiques, au cours desquels son franchissement salutaire dans les deux sens, fait écho aux évènements géopolitiques européens. « Retirada » et « Pyrénées de la Liberté » mobilisent les populations montagnardes, dont la « justesse » des uns, supplantera l’âme délateur des autres.
La mouvance pyrénéiste freinée dans son élan par l’actualité, laissera cependant quelques traces d’une timide activité. L’après-guerre matérialise une interface, préfigurant la future montée en puissance à venir dans la décade qui va suivre. Entre 1946 et 1947 le Grand dièdre des Spijeoles est inauguré par la co-production Malus, Comet, Boy, Couzy, Beauchamp et Céréza. La Centrale ouest du Quayrat, objet de convoitise depuis 1942, de ces principaux prospecteurs, Jolly et Grelier, devient un modèle du genre après les variantes offertes par Céréza et Crampé en 1948.
Le Pyrénéisme des années cinquante sera foisonnant en matière de réalisations marquantes définissant à long terme, les contours de sa pratique, qui prévalent encore de nos jours. Cette décade voit poindre de jeunes talents qui, profitant d’une transmission intergénérationnelle, élèveront l’expression pyrénéiste vers un aboutissement. Cette quintessence, c’est la « cordée gémellaire » des Raviers qui l’incarne. Jean et Pierre, chemises à carreaux et knickers de rigueurs, élaborent un art de l’efficacité fulgurant, qui va accélérer le cours de l’histoire de la verticalité Pyrénéenne. Des icônes de la Montagne tels, Walter Bonatti, Hermann Buhl, Royal Robbins, Claudio Barbier et Yvon Chouinard homologues des Raviers, influencent indéniablement leur mode opératoire. Ici où là, ils donnent réponses élégantes, à quelques une des dernières problématiques orographiques des massifs de la chaine. La Sud-Est de l’Ossau ouverte par André Armengaud, curé Larboustois et Jean Ravier en 1953, symbolise cette passation entre générations et inaugure la déferlante « Ravier » et sa prometteuse montée en puissance. 1954, faces Nord du Piton Carré et de la Grande Aiguille d’Ansabère, éperon Nord du petit pic d’Ossau et face Nord du Marboré en 1956, éperon Central de Barroude, Tozal del Mallo à Ordessa en 1957 et face Est du Pène Sarrière en 1959. A leur tour, les jumeaux intronisent la « nouvelle vague » Pyrénéiste, conviant en 1957 à la face Est de la Grande Aiguille d’Ansabère, ainsi qu’au pilier Sud du Grand Pic d’Ossau en 1959, Raymond Despiau et Patrice De Bellefon.
Au regard d’une certaine proximité temporelle, la suite de l’histoire Pyrénéiste reste à notre portée. Suite aux frères Raviers, De Bellefon, Audoubert, Cassinet, Despiau, Candau, Oscaby, Fabbro, Galvez, Gillereau, Munsh, Latorre, Julien, Carrafrancq, Roujas, Garraud, Petetin, Thivel, Tignières, Brau-Mouret, Casteran, Pouliquen, Lannes, Les Raviers fils et neveux, Alfonso, Pujolle et Fiocco auront le privilège de pérenniser cet art Pyrénéiste, maintenant la lente combustion de la flamme d’un Pyrénéisme, qui accorde à ses gardiens, cette liberté d’un énième recommencement.