Un coeur de Saint-Bernard (Marcel Demont)

Activités :
Catégories : récits
Type d'article : individuel (CC by-nc-nd)
Contributeur : Marcel Maurice Demont
Ami Wisler en action lors de la tragédie du Grand Canyon du Colorado
Ami Wisler en action lors de la tragédie du Grand Canyon du Colorado

J’ai rencontré cet homme d’exception, sur mon chemin, en l’an 1963, alors que candidat ‘porteur de montagne’ (aujourd’hui on dit ‘aspirant guide’), j’avais à accomplir les formalités donnant accès à la profession. Ami, lui, était à cette époque un membre influent de la ‘Commission des Guides’.

L’homme aux 9 brevets
- Guide de haute montagne
- Instructeur suisse de ski
- Pilote des glaciers
- Parachutiste - sauveteur
- Formateur et conducteur de chiens d’avalanche
Mais aussi
- Boulanger - pâtissier
- Conducteur de locomotive
Et enfin, pour conclure, à plus de 50 ans
- Brevet de mariage (le plus difficile à obtenir et à garder, disait-il).
Sans oublier
- Membre fondateur de la GASS, la Garde Aérienne Suisse de Sauvetage (actuellement appelée REGA).[img=223796 right]Le sauveteur - parachutiste Ami Wisler en action de secours; au-dessous de lui, son chien est relié par une sangle à son harnais de para[/img]
En juillet 1956, Ami Wisler connut un grand honneur, une forme de consécration, et les heures les plus douloureuses d’une carrière de secouriste marquée par des drames à répétition. Il fut appelé à intervenir de toute urgence aux Etats-Unis d’Amérique pour récupérer les corps des 128 victimes de la plus grave catastrophe aérienne de cette époque, dans le Grand Canyon du Colorado, 1900 mètres de profondeur, une des régions les plus inhospitalières des USA. La tâche consistait, au moyen des appareils à câble d’acier dont il était un des rares experts, à se porter au secours d’improbables survivants du crash. Elle se limita à la récupération de dépouilles mortelles déchiquetées.[img=223797 right]Ami Wisler et son chien Annette: deux sauveteurs dévoués et compétents[/img]
En 1996, à l’occasion d’une soirée mémorable qui réunit autour d’une seule grande table de bistrot tout ce que notre Société des Guides et Porteurs comptait alors de vétérans, Ami, d’ordinaire peu enclin aux confidences se livra à un long soliloque. Chacun se tut pour l’écouter :
« Adolescent, je rêvais d’être mécanicien. Lorsque je me présentai aux Ateliers des CFF (Chemins de Fer Fédéraux) en 1933, il y avait près de deux cents candidats pour deux places d’apprentissage. Je devins boulanger-pâtissier, mais aussi guide de haute montagne et moniteur de ski. Je travaillais à temps partiel à la Boulangerie-Pâtisserie du Nord, à Leysin, lorsque, le commis étant frappé d'une soudaine et inexpliquée fatigue, je dus le remplacer au service des livraisons. A skis, j'avais à ravitailler plusieurs établissements accrochés à de raides pentes enneigées. Alors que je dévalais un abrupt talus à vive allure, hotte au dos, je manquai mon affaire. Au terme de mon plongeon, miches dorées, pains de campagne ronds, ballons croustillants, petits pains au lait, pains au chocolat, croissants au beurre, flûtes au sel, après avoir roulé et rebondi, émaillaient la pente neigeuse en témoignage irréfutable de mon habileté. Ce premier essai de vol, cette chute mal amortie, ce capotage malencontreux furent-ils les catalyseurs de mon évolution? Toujours est-il que je devins pilote, ‘pilote des glaciers’. Et parachutiste aussi (pour acquérir toutes les subtilités de cette spécialité, je me rendis en Angleterre afin de profiter des expériences extrêmes faites tout au long de la guerre par les paras militaires). J'accrus ma connaissance de la neige et m'investis dans la formation et la conduite de chiens d'avalanche. Mon attirance pour la mécanique n'avait pas faibli, lors d'un atterrissage aléatoire sur un glacier malcommode, je fis passablement de tôle pliée et de petit bois. Etant toutefois parvenu à rejoindre ma base, je passai la nuit, discrètement, en bricoleur, à réparer les dégâts. Le matin venu, le Piper pouvait reprendre l'air. J'eus l'occasion d'employer mes connaissances variées en les mettant au service de la Garde Aérienne Suisse de Sauvetage dont il me fut donné d'être un des membres fondateurs. A l'époque dont je parle, les interventions de secours en montagne se faisaient exclusivement à pied, les victimes étant transportées à dos d'homme. Il est aisé d'imaginer combien cela était pénible et lent pour les victimes comme pour les sauveteurs. Il me vint l'idée d'utiliser, en premier échelon de secours, un avion larguant des sauveteurs parachutistes accompagnés si nécessaire de chiens d’avalanche. Il est un tout autre terrain où j'eus l'occasion de faire de riches expériences humaines, celui du monde des lois et règlements. Alors que Claude Gollut participait à son cours de guide, il apparut que ce formidable grimpeur, skis aux pieds, avait une nette préférence pour la ligne droite, la Directe avant la lettre en quelque sorte (Grand Miroir d’Argentine, voie Directe, Gollut-Wattenhofer-Willisdorfer). Les experts exigeant que les candidats soient en mesure de dessiner avec sûreté d'innombrables courbes élégantes, Claude glissait à vive allure vers un échec regrettable. Je fis remarquer à la direction du cours que, si effectivement la profession se composait de deux volets, celui de guide de haute montagne et celui de guide skieur, rien dans la ‘Loi Cantonale Vaudoise des Guides’ ne précisait que l'on devait obligatoirement être les deux. C’est ainsi que Claude devint le seul guide de haute montagne professionnel à ne pas être guide skieur. Lors des vingt-six années durant lesquelles je fus membre de la Commission Cantonale des Guides, mais aussi en tant que membre du comité de l'Association Vaudoise des Guides et Porteurs, je me suis toujours efforcé de mettre les silences des lois et des règlements au service de ceux à qui cela pouvait être utile, sans pour autant jamais tomber dans l'illégalité. Je me fis une spécialité de soutenir les candidats guides en difficulté pour des raisons administratives ou relationnelles (les querelles de clocher) :
« Je t’appuie sans réserve auprès des autorités de surveillance, mais c’est à toi qu’il appartient de prouver sur le terrain de la montagne que tu mérites d’être guide ».
En décembre 1996, alors âgé de septante-huit ans, je conclus ce que je considère comme ayant été mon ultime engagement de guide. Une semaine durant, et ce par tranches de deux heures s'enchaînant, j'eus l'honneur et l'immense joie de transmettre aux étudiants de l'Ecole des Métiers les connaissances de la neige et des avalanches acquises tout au long de ma carrière de sauveteur et de guide. J’y fis la connaissance émue du petit-fils d’une victime d’accident de montagne à laquelle j’avais eu le privilège de venir en aide. Aurais-je pu rêver d’une plus belle conclusion à mon parcours professionnel? »

Entouré par ses deux collègues, Daniel Cochand et Marcel Demont, le guide Ami Wisler quelques semaines avant son grand départ vers les étoiles
Entouré par ses deux collègues, Daniel Cochand et Marcel Demont, le guide Ami Wisler quelques semaines avant son grand départ vers les étoiles

MaDe©2010

Commentaires

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Miko 15 years ago

C’est toujours sympathique c’est moment d’histoire.
Merci Marcel.

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MMDemont 15 years ago

[quote=« desnoes, id: 1035115, post:2, topic:100472 »]C’est toujours sympathique c’est moment d’histoire.
Merci Marcel.[/quote]
Merci pour ton message ami de la montagne et de son histoire.
Marcel

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MMDemont 15 years ago

Merci à toi.
Amitiés.
Marcel

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compteferme 15 years ago

Cette histoire me touche d’autant plus qu’elle ressemble tellement à celle de mon père qui a eu une vie aussi très riche. Des hommes qui avançaient et pour qui l’aventure ne se trouvait pas à travers l’artifice de la facilité. Ils parlaient peu mais osaient. Mais c’était une autre époque. Elle m’aurait bien plu, je l’ai suivi comme spectatrice, enfant, auprès de mon père, j’aimais cette ambiance. Un grand merci Marcel.

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mangeurdefigatellu 15 years ago

merci pour ce texte

M Wilser portait bien son prénom je pense .

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cairn-oc 15 years ago

Salut L’Ami

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Apoutsiak 15 years ago

Merci Marcel pour cette histoire !

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MMDemont 15 years ago

Merci à toi Marie.
Amitiés.
Marcel

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MMDemont 15 years ago

[quote=« mangeurdefigatellu, id: 1035284, post:7, topic:100472 »]merci pour ce texte

M Wilser portait bien son prénom je pense .[/quote]
Oui, bien vu ‹ Mangeurdefigatellu ›, c’était l’ami Ami.
Bien à toi.
Marcel

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MMDemont 15 years ago

Salut à toi aussi ami.
Ami… calement.
Marcel

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MMDemont 15 years ago

Merci à toi de lui avoir prêté de l’intérêt.
Ami était un gars vraiment formidable, participant encore aux activités de la Société des Guides à l’âge de 90 ans et trouvant la force de protester lorsqu’on passait commande d’eau minérale: « On va quand même boire un coup de rouge! » rugissait-il alors.
Bien à toi, amicalement.
Marcel

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MMDemont 15 years ago

Merci à toi.
Eh oui, avec le départ d’Ami c’est 46 années de collaboration fructueuse et d’échanges amicaux qui sont à ranger au rayon des souvenirs heureux. Rencontrer et faire un long bout de chemin avec un homme d’un tel format est un privilège dont je suis bien conscient. A’rvi Ami, là-haut.